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Le bootleg à travers les époques

Chroniqueur Charles Laplante
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Le fait d’apprécier très fort la musique d’un artiste peut parfois pousser l’admirateur obsessif au-delà des limites de la légalité. C’est en comparant la valeur de l’amour de l’inédit avec les limites légales du droit d’auteur qu’un quidam a un jour donné naissance au concept de l’enregistrement bootleg. Bien sûr, parler de la belle époque des disques illicites relève surtout de la nostalgie à l’ère où l’Internet est le nouveau Far West et où les groupes ont de plus en plus de difficulté à vivre de leur art. Quoi qu’il en soit, explorons un brin l’histoire du bootleg à travers celle du rock.

Quossé ça un bootleg?

En gros, un enregistrement bootleg est la captation audio ou vidéo d’une performance qui n’a jamais été commercialisée officiellement par l’artiste ou la personne morale qui le représente. Les enregistrements bootlegs sont copiés de différentes façons et partagés entre les fans. Leur qualité varie énormément d’un produit à l’autre et on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre en mettant la main sur un tel artefact. Il peut s’agir de l’enregistrement d’un spectacle fait par un admirateur, d’enregistrements studio inédits ou d’enregistrements d’entrevues. Il ne faut pas confondre le bootleg et le disque de contrefaçon, qui est une copie d’un album lancé officiellement, plutôt qu’un enregistrement inédit.

Les années 1960-1970

C’est une compilation de démos de Bob Dylan qui est à l’origine de la montée en flèche de la popularité des bootlegs, à la toute fin des années 60. Au départ, les disques vinyle illicites étaient distribués dans des pochettes blanches, ne portant que leur nom ou leur description de contenu imprimés par des étampes. Très vite, les marchands ont rendu les pochettes plus attrayantes et l’industrie s’est mise en branle. Les Beatles, les Rolling Stones, The Who et Jimi Hendrix ont tous été bootleggés à outrance dans les années 70, époque où le bon vieux produit physique analogue a atteint son apogée. À ce moment de l’histoire, le magazine Hot Wacks répertoriait les bootlegs en évaluant leur qualité globale.

Les années 80

Le bootleg est encore plus présent que jamais alors que la cassette devient le produit physique le plus populaire en raison de son faible coût et de son côté pratique. Grâce à ce petit rectangle de plastique, il était désormais possible d’enregistrer un concert à partir d’un sac à dos ou d’un sac à main. Il était également très facile de faire des tonnes de copies pour les copains ou les clients. La cassette devient tellement populaire en fait, que des communautés se forment autour d’une hiérarchie de la rareté des exemplaires de certains bootlegs. Le disque compact apporte lui aussi son lot de bootlegs célèbres avec l’avènement du glam rock et du heavy métal. Les fans répondent plus que jamais à l’appel de l’inédit et du vice audiovisuel.

Les années 90

La culture du bootleg est désormais indissociable de la culture musicale au sens large. Les bootlegs en CD se vendent souvent au prix moyen de 60 à 80 $. L’auteur de ces lignes a déjà dépensé de telles sommes pour des concerts mal enregistrés de Nirvana, Korn et Rage Against the Machine. Soucieux de fournir des produits de qualité à leurs fans et d’éviter les arnaques, plusieurs groupes décident d’ailleurs de traîner leur propre équipement d’enregistrement sur la route pour commercialiser eux-mêmes leurs bootlegs. C’est le cas de Pearl Jam, qui est l’un des premiers groupes à utiliser l’Internet pour vendre les pistes audios de chacun de ses concerts sur CD et en ligne à la fin de la décennie. Les premiers enregistrements bootlegs partagés sur l’Internet voient le jour et se multiplient exponentiellement et rapidement.

Les années 2000 à aujourd’hui

Les deux dernières décennies ont représenté une véritable démocratisation du bootleg, en grande partie grâce aux plateformes de partage comme YouTube ou MySpace. Les contenus gratuits sont partout et depuis 2010, YouTube a retiré la limite de 15 minutes qui était imposée à tous ses vidéos, ce qui fait en sorte qu’il est extrêmement facile de retrouver des concerts complets de vos artistes favoris. Bref, le marché du bootleg n’est plus ce qu’il était de nos jours, mais le phénomène demeure toutefois très intéressant d’un point de vue historique.

SUGGESTIONS

Bob Dylan and the Band – Great White Wonder/The Basement Tapes (1969/1975)

Genre : Folk/Rock
Franchement, on aurait pu remplir cette section de suggestions qu’avec des bootlegs du prolifique ménestrel new-yorkais. Reste que ces séances d’enregistrement de 1967 ont vraiment la cote auprès des amateurs du grand Bob. Du bootleg historique GWW distribué sous le manteau dès 1969, l’intérêt pour les Basement Tapes a provoqué leur distillation en un album double officiel en 1975, maintenant un classique du répertoire dylanien, avant qu’ils ne soient lancés dans leur intégralité en 2014.

Sur repeat: Tears of Rage / Ruben Remus / This Wheel’s on Fire

Jimi Hendrix – Woke Up This Morning and Found Myself Dead (1968)

Genre : Rock psychédélique/Blues
Ça aurait pu être n’importe quel spectacle de Jimi enregistré à New York un soir de semaine dans les années 1960. Sauf que bon, il y avait dans la foule un certain Jim Morrison sauvagement en boisson. À un moment donné, le leader des Doors a titubé jusqu’à la scène et s’est mis à délirer dans le micro pendant que Jimi et ses musiciens improvisait. Le show vaut surtout la peine pour cette improbable collabo!

Sur repeat: Red House / Morrison’s Lament / Sunshine of Your Love

Buzzcocks – Time's Up (1978)

Genre : Punk/Pop
Un bootleg remarquable puisqu’il s’agit de la première session de studio du premier band punk de Manchester. C’est également la seule fois où les deux fondateurs (Pete Shelley et Howard Devoto) sont réunis sur disque, mis à part le EP Spiral Scratch – Devoto est ensuite parti fonder Magazine. Il aura fallu attendre jusqu’en 1991 pour que cette merveille sorte sous la forme d’un album officiel.

Sur repeat: Breakdown / Orgasm Addict / Love Battery

Prince – The Black Album (1987)

Genre : Pop/Funk
Sans les forts tourments métaphysiques de Prince, le Black Album de Metallica aurait peut-être dû avoir un autre nom. C’est que l’artiste tout de pourpre vêtu a lui-même enregistré un album du même nom. Après un trip d’ecstacy, il a apparemment pris conscience que sa propre mort pouvait subvenir n’importe quand et qu’il ne voulait pas que ce disque sombre soit son dernier leg à l’humanité. Il a donc fait détruire les quelques 500 000 copies pressées et l’album est encore très couru et très rare aujourd’hui.

Sur repeat: Le Grind / Dead On It / When 2 R in Love

Nirvana – Live at Reading (1992)

Genre : Grunge
La prestation de Nirvana au festival de Reading en Angleterre a probablement été le spectacle du groupe le plus populaire sur le marché des bootlegs. On y retrouve un groupe très brouillon qui s’éclate sur une très grosse scène, au sommet de sa gloire. La performance a été commercialisé dix ans et des poussières après sa captation, les bootleggers ont eu le temps de s’en donner à cœur joie.

Sur repeat: Tourette’s / Lithium / Sliver

Nine Inch Nails – Back in Anger (1995)

Genre : Rock industriel
En 1995, Nine Inch Nails surfait sur une popularité gigantesque et Trent et sa bande suivaient David Bowie en tournée. Le grand David aimait tellement le groupe qu’il s’en est fortement inspiré pour son album Earthling. Il n’hésitait pas non plus à monter sur scène avec eux pour chanter en duo avec Reznor. Ce spectacle enregistré à St-Louis, Missouri, est parmi les plus légendaires de cette association désormais mythique.

Sur repeat: The Becoming / Gave Up / Scary Monsters

Korn – Live Issues (1999)

Genre : Nu metal
À peine remis de la folie entourant leur nouvelle popularité, Korn a lancé son quatrième album en grande pompe au théâtre Apollo de New York. Le groupe de Jonathan Davis a donc joué Issues intégralement, d’un bout à l’autre. C’est l’une des performances les plus recherchées du groupe, qui ne l’a jamais commercialisée.

Sur repeat: Trash / Falling Away From Me / Hey Daddy

The White Stripes – Live at the Forum (2001)

Ce bootleg immortalise le premier spectacle de Jack et Meg White en Angleterre. C’est un spectacle qui a fait couler beaucoup d’encre avant même d’avoir lieu et Jack se sentait un brin dépassé par toute cette hype. Malgré tout, le groupe a livré la marchandise d’aplomb et c’est probablement l’un de leurs meilleurs spectacles de l’époque.

Sur repeat: Expecting / Jolene / Astro

 

(Article publié dans l’édition #167 décembre/janvier 2020 – www.boutiquesummum.com)

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