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Le freak show au Québec

Annie Richard
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À l’instar de nos voisins américains, le Québec a aussi connu l’engouement pour le freak show, c’est-à-dire l’exhibition d’être humains ou d’animaux ayant des particularités physiques hors du commun.  De la fin du 19e siècle jusque dans les années ‘80, il y a eu des changements dans ce type de spectacle, mais il ne faut surtout pas croire que ce phénomène a évolué avec amélioration.  À une certaine époque, les parcs d’attractions engageaient aussi des artistes s’adonnant à des spectacles dangereux.  À cela s’ajoutent les fameux cirques, dont certains passages ont marqué les esprits à la suite d’effroyables drames.  Laissez-moi vous raconter quelques faits divers qui ont certainement façonné l’histoire du spectacle et du divertissement au Québec.  

Les anciennes curiosités

Plusieurs personnages ont performé dans la ville de Québec au 19e siècle, comme, par exemple, ceux qu’on appelait les lilliputiens, et aussi des personnes de petites tailles.  On venait les voir comme on le ferait dans un cabinet de curiosités.  Ces artistes faisaient le tour du continent.  Ces spectacles étaient très populaires.  Ce type de particularité physique a connu de la popularité jusque dans les années ‘70, alors qu’on organisait des concours ou des combats de lutte entre eux.  

Un peu plus tard, dans les années ‘30, les parcs d’attractions québécois recevaient également les fameuses sœurs siamoises Hilton, et aussi le géant Jack Earl qui mesurait 8’6 pouces.  Toutes ces personnes gagnaient leur vie à maigre salaire (ou encore juste par le simple fait d’être nourris), à être observés par des spectateurs curieux de leur condition physique.

L’attachant Schlitzie

Un des personnages qui m’a le plus émue a déjà connu son heure de gloire à Montréal, au parc Belmont, un lieu d’attractions qui fut très populaire jusqu’à sa fermeture en 1983.  J’ai d’abord découvert son existence dans un article de journal dont le titre allait comme suit: « Un Montréalais veut adopter l’homme le plus laid du monde ». D’une tristesse sans nom, cette nouvelle racontait l’histoire d’un artiste avaleur d’épées qui s’était lié d’amitié avec un camarade de tournée qu’on appelait Schlitzie.  Ce dernier était un homme souffrant de microcéphalie et présentant une légère déficience intellectuelle.  Non verbal, Schlitzie était d’une origine totalement inconnue.  Selon les sources les plus anciennes, on l’avait retrouvé à la fin 1800 dans un milieu naturel du Nouveau-Mexique, et on disait de lui qu’il était un enfant « sauvage ». Il a été longtemps surnommé « le dernier des Aztèques ».

Il a œuvré durant plusieurs décennies comme artiste de cirque, plus précisément comme une bête de foire.  Il était habillé en femme selon les habits traditionnels aztèques, et on dit qu’il en était ainsi pour faciliter son hygiène puisqu’il était aux couches.  Il a même figuré dans deux productions cinématographiques dont le célèbre film « Freak », dans lequel on peut aussi voir d’autres artistes aux particularités sensationnelles.  Obsédée par la vie de Schlitzie, j’ai creusé longtemps sur son passé en général.  J’ai trouvé sa carte de conscription de la guerre dans laquelle on pouvait lire qu’il en était exempté pour cause d’imbécillité et « parce qu’il s’habille en femme ».

Malgré tout, il semble que Schlitzie était une personne très heureuse et peu consciente du sort qui lui était réservé.  Apparemment, il était toujours joyeux, et, somme toute, la coqueluche lors des tournées.  Vers la fin de sa vie on l’a interné dans un hôpital de Los Angeles, et c’est là que l’avaleur d’épée de Montréal a voulu lui venir en aide car Schlitzie semblait bien malheureux.  Un bédéiste New Yorkais, Bill Griffith, a créé tout une série de livres basée sur un personnage inspiré de Schlitzie.

 

Le freak show

Dans les années ‘70, il y a eu certains établissements qui offraient des spectacles de type « freak show ». Il y a eu notamment des représentations où performaient des personnes de petites tailles et aussi des femmes obèses, telles que celle que l’on surnommait « Bébé Papillon ». Bien que conscients et consentants de se livrer à de telles performances, on se demande toutefois si cette forme d’auto-dérision était réellement positive dans la vie de ces artistes.  

C’est en 1975 qu’éclate un scandale assez affligeant dans le domaine du « freak show » au Québec.  On rapporte que plusieurs bars offrent des spectacles mettant en vedette des personnes avec une déficience intellectuelle.  On parle entre autres de l’hôtel Rocdor de Drummondville, le Château Berthelet de Berthierville et le Lion d’Or de Victoriaville.  Des clients rapportent que ces jeunes adultes vulnérables sont utilisés, et ce avec un organisateur, pour divertir en produisant des cris d’animaux, en imitant des vedettes et en faisant des danses farfelues et humiliantes.  Ces jeunes gens étaient « payés » en argent Monopoly, ou encore en billets d’autobus.  L’affaire est rapportée dans les journaux et le Ministère des Affaires Sociales décide de produire une enquête sur le « freak show » où deux psychiatres sont mandatés pour investiguer ces dossiers.  

Un des artistes de cette troupe, Jean-Pierre Allard, surnommé « Flasher », fait l’objet d’un article dans le journal La Patrie.  Ce dernier voulait continuer de faire des spectacles, car bien que ceux-ci provoquaient plutôt des rires gras et narquois d’une clientèle enivrée, c’était malheureusement là qu’il se sentait important.  Faisant partie d’une bonne famille, sa mère n’était pas favorable à cette « carrière » dont s’adonnait son garçon et elle en était plutôt inquiète.  Cependant, Jean-Pierre ne semblait pas avoir un réel diagnostic de déficience intellectuelle comme tel et aurait plutôt souffert d’une maladie qui aurait compromis son développement normal, ce qui fait qu’il pouvait lire, écrire et être somme toute assez autonome.  Il avait donc délibérément choisi cette voie.  Quoiqu’il en soit, il n’a pas prolongé cette carrière d’artiste très longtemps, car il a été engagé par une compagnie de recyclage.  En 1986, Jean-Pierre décède tragiquement à l’âge de 37 ans alors qu’il est happé accidentellement par une automobile dans son village de Saint-Paulin.  C’était exactement le jour de son anniversaire.  L’année d’après, des gens de sa communauté ont lancé la Fondation Jean-Pierre Allard pour entre autres promouvoir l’ouverture et l’accessibilité des personnes handicapées dans le milieu du travail.  Je ne sais pas si cette fondation a pris naissance à la suite à d’efforts pour contrer le « freak show »dont faisait partie Jean-Pierre, mais j’aime beaucoup y croire.

Acrobates de la mort

Au début du 20e siècle, il y a eu un engouement assez particulier pour les prestations acrobatiques très dangereuses.  Il y a eu, entre autres, des hommes-araignées qui grimpaient des immeubles, et aussi des cyclistes qui faisaient des tours complets dans des « loops » géants installés dans des parcs d’attractions tels que le Parc Dominion dans l’est de Montréal.

J’ai aussi découvert d’incroyables courses de ballonistes.  L’exercice consistait à s’envoler à bord d’un ballon semblable à une montgolfière tout en étant simplement accroché à mains nues à un trapèze.  Rendu à une certaine hauteur, le balloniste se lançait dans le vide alors qu’un parachute s’ouvrait pour ensuite se déposer au sol.  Cette manœuvre était très dangereuse et tout dépendait des conditions météo, des obstacles et du bon fonctionnement du parachute.  Un jeune homme est décédé par électrocution à Côte-Saint-Paul en 1920, alors qu’il portait secours à une balloniste dont le parachute était pris dans des fils électriques.

Colère et cavales chez les animaux

En juin 1939, 11 singes s’évadent du parc Belmont, en creusant une petite passerelle entre une planche ayant été placée entre leur cage et un bassin d’eau.  Les singes se promènent dans le quartier Ahuntsic.  Un golfeur raconte avoir fait rire de lui par ses camarades en leur racontant avoir vu un singe dans un arbre.  C’était bien vrai, et personne n’arrivait à capturer ces habiles fugueurs.  Un citoyen a toutefois réussi à en attraper un puisqu’il était devenu faible par le manque de nourriture.  Les employés du parc ont donc utilisé un subterfuge assez inusité: ces singes étant apparemment friands d’alcool, plusieurs gobelets de whiskey ont été déposés au pied de la cage des mammifères.  Une fois légèrement paquetés par la boisson, les singes en cavale ont pu être facilement capturés.  Le hic, c’est qu’on a même attrapé 12 singes sur les 11 recherchés!  D’où venait ce douzième singe ?  Je crois que nul ne le sait encore à ce jour, et je trouve cette anecdote fort captivante.

En mai 1978 survenait un des pires drames concernant les animaux de cirques au Québec.  Durant un spectacle du cirque Gatini à Rock Forest, la dompteuse Eloïse Berchtold écope de la furie d’un des deux éléphants présents sur la scène.  Devant une foule de spectateurs horrifiés, elle se fait d’abord empaler par un ivoire, pour ensuite être piétinée mortellement.  Durant ce temps, l’autre éléphant en profite pour prendre le large.  Il y avait donc un éléphant en cavale en pleine ville.  Plusieurs témoins raconteront leur expérience d’être au volant de leur voiture et de rencontrer tout à coup un éléphant en pleine bordure de route!  Un tireur d’élite ainsi qu’un collègue de la police ont dû abattre l’éléphant agressif, qui était encore sous le chapiteau alors que la foule se pressait à sortir.  Il aura fallu des dizaines de projectiles pour s’en venir à bout. L’autre éléphant a été amadoué et on a pu le récupérer sans lui faire perdre la vie.  Toutefois, un an plus tard aux États-Unis, la propriétaire de ces éléphants a connu le même sort que la dompteuse à Rock Forest.  Ces événements ont évidemment alimenté le débat entourant l’usage des animaux sauvages dans les cirques et les foires.

C’est surprenant de voir à quel point certaines pratiques seraient inconcevables aujourd’hui.  Autres temps, autres mœurs.  Le « freak show » n’est plus, mais j’ai parfois cette impression que même à notre ère, ce phénomène n’est pas tout à fait éteint…

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