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LE MANUSCRIT DE VOYNICH

Chroniqueur Christian Page
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LE MANUSCRIT DE VOYNICH

LE LIVRE LE PLUS MYSTÉRIEUX DU MONDE

En septembre dernier, le The Times Litterary Supplement publiait un article affirmant que le Manuscrit de Voynich, un curieux document « codé » datant du Moyen Âge, avait enfin été déchiffré. L’auteur, Nicholas Gibbs, a-t-il réellement percé le secret de ce que d’aucuns ont baptisé « le livre le plus mystérieux du monde »?

Un étrange manuscrit…

En 1912, Wilfrid Voynich, un antiquaire américain (d’origine polonaise), se rend à Frascati, près de Rome (Italie). Voynich, qui fait le commerce des livres anciens, parcourt le monde en quête de manuscrits rares. De passage à Londres, des collègues lui ont fait savoir que les jésuites de la Villa Mondragone avaient besoin d’argent pour restaurer leur monastère et que, pour ce faire, ils étaient prêts à se départir de certaines de leurs collections. Une fois sur place, les moines lui présentent donc une caisse poussiéreuse. À l’intérieur, il y a plusieurs incunables et manuscrits de grande valeur. L’un d’eux attire son attention. Il s’agit d’un recueil de 234 pages écrit dans une langue étrangère. « Peut-être du latin mélangé à un alphabet arabe », se dit l’antiquaire. Le manuscrit est de belle facture : le papier est de qualité et la couverture soignée.

Les origines du livre sont obscures, mais lorsque Voynich en fait l’acquisition, il est depuis longtemps conservé dans la bibliothèque de la Villa Mondragone. Le document (qui deviendra célèbre sous le nom de Manuscrit de Voynich) se présente grosso modo en quatre parties. La première – appelée « herbier » – contient 113 dessins de plantes, dont plusieurs sont inconnues de l’antiquaire. La seconde partie montre des diagrammes qui supposent un traité d’astronomie, quoique là encore les illustrations des systèmes planétaires ne correspondent à rien de connu. La troisième partie – dite « biologique » – reproduit pas moins de 227 images de femmes nues, dont certaines enceintes et plongées dans des baignoires reliées à d’étranges tuyaux. Enfin, la dernière partie présente des centaines de racines, des petites plantes et divers récipients d’épices. Là aussi, les racines illustrées sont inconnues. Tout cela est bien étrange.

Bizarre… vous avez dit « bizarre »?

De retour aux États-Unis, le mystère s’épaissit. Tous les érudits confirment ce que Voynich suspectait depuis le début : le manuscrit est écrit dans un alphabet inconnu et les nombreux dessins qui l’agrémentent – les plantes, les systèmes solaires et les racines – ne correspondent pour la plupart à rien de connu.

Si Wilfrid Voynich l’a redécouvert à la Villa Mondragone, le manuscrit n’en est pas pour autant à sa première « sortie publique ». En consultant des archives, des chercheurs découvrent que ce singulier ouvrage a été mentionné dans plusieurs correspondances datant du 17e siècle. D’après ces échanges, le manuscrit aurait même appartenu à Rondolphe II, l’empereur du Saint-Empire. Apparemment, tous ces correspondants se questionnaient sur sa véritable nature. Vers 1666, on perd de nouveau sa trace… jusqu’à ce que Voynich le retrouve à Frascati.

Après la mort de Voynich, en 1930, le manuscrit passe de main en main, puis, en 1969, le dernier en lice, Hans P. Kraus, un autre marchand de livres, en fait don à la bibliothèque Beinecke de l’université Yale (Connecticut) où il est depuis conservé dans la collection des livres rares et manuscrits anciens (cote MS 408). Il est la pièce de résistance de toute la collection.

Un auteur insaisissable

Depuis sa découverte par Wilfrid Voynich, le manuscrit a été étudié par les plus grands cryptographes du monde, mais sans succès. Même les experts des services du renseignement américain – ceux-là mêmes qui avaient réussi à briser les codes de la machine Enigma du IIIe Reich – s’y sont brisé les dents. La seule certitude acquise est que son auteur a visiblement respecté des règles d’orthographe et de syntaxe dans sa rédaction (même si l’alphabet est inconnu). L’ensemble du document laisse croire à un livre médicinal. Là s’arrête toute certitude.

L’élaboration d’un codex comme le Manuscrit de Voynich tient du génie… ou de la démence. Qui a bien pu s’astreindre à un tel travail? Et pourquoi? Pourrait-il s’agir d’une simple imposture, comme le pensent plusieurs historiens? À moins qu’il ne s’agisse d’un recueil de recettes alchimiques que l’auteur voulait protéger à tout prix. Comment le savoir? Les experts en textes anciens ont longtemps pensé que les seuls érudits capables de réaliser un ouvrage semblable étaient Roger Bacon, un savant alchimiste du 8e siècle, et Léonard de Vinci, qui a vécu dans la seconde moitié du 15e siècle. Malheureusement, en 2011, une datation au carbone 14 – réalisée sur un échantillon de la couverture – prouve que le manuscrit a été réalisé entre 1404 et 1438, donc trop jeune pour avoir été fait par Roger Bacon et trop vieux pour être l’œuvre de Léonard de Vinci.

Une explication?

Dans son édition du 5 septembre dernier, The Times Litterary Supplement (TLS), un périodique consacré à la culture littéraire, détaillait l’hypothèse émise par un certain Nicholas Gibbs, un scénariste de la télévision et historien amateur. En comparant le Manuscrit de Voynich à d’autres manuscrits médiévaux, Gibbs soutient que le livre ne serait pas « codé », mais plutôt écrit en… abréviations (comme un médecin rédigeant une prescription). S’il paraît aussi indéchiffrable, ajoute Gibbs, c’est tout simplement parce que l’index détaillant ces abréviations a été perdu. Pour lui, le Manuscrit de Voynich ne serait qu’un traité médical principalement dédié aux femmes enceintes.

Si la nouvelle a trouvé écho dans la presse populaire, cette hypothèse a vite été mise à mal par les historiens. Certains ont même critiqué les politiques éditoriales du TLS pour avoir publié un article aussi peu fouillé. Primo, soutiennent les experts, il n’existe aucun exemple historique d’un livre ou d’un manuscrit exclusivement écrit en abréviations. Secundo, même s’il est vrai que le manuscrit a perdu quelques pages (28) au fil des siècles, rien ne prouve qu’il n’ait jamais contenu un quelconque « lexique » de ces abréviations. Aucune description du manuscrit – même parmi les plus anciennes – ne parle d’un tel index. Cette supposition, insistent les experts, ne repose sur aucune certitude. Tertio, l’interprétation voulant que le manuscrit soit un livre de médecine n’a rien de bien nouveau. Déjà au 17e siècle, c’était l’hypothèse dominante. En faisant sienne cette interprétation, Nicholas Gibbs s’octroie une fausse paternité.

À ce jour, les seuls travaux de décryptage qui ont donné un minimum de résultat sont ceux du linguiste britannique Stephen Bax. En 2014, le chercheur a publié un premier essai expliquant qu’en utilisant une méthode comparative – comme celle qui a permis à Champollion de comprendre les hiéroglyphes égyptiens –, il avait réussi à décrypter 14 lettres et une dizaine de mots. Bax a aussi remarqué que l’auteur avait utilisé des traductions de mots en langue arabe pour mieux brouiller les cartes. L’exercice est encore trop embryonnaire pour comprendre le Manuscrit de Voynich, mais suffisamment convaincant pour prouver que le document n’est pas une simple supercherie médiévale, mais un « vrai » livre de science, probablement un traité sur la nature et codé à partir d’une langue en usage au Proche-Orient ou en Asie. C’est quand même beaucoup pour le livre de chevet d’un apothicaire…

(Article publié dans l’édition #152 décembre/janvier 2018 – www.boutiquesummum.com)

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