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Une histoire de Batman

Chroniqueur Patrick Marleau
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J’ai plongé dans la lecture des comics Batman en 1989 grâce au film de Tim Burton que je suis allé voir trois fois au cinéma. Oui, oui, trois fois! J’avais douze ans et, même si je connaissais bien le personnage par les reprises de la vieille série télévisée des années 1960 et les dessins animés que j’avais regardé enfant, j’ai été complètement émerveillé par la vision très stylisée de Burton. Bien sûr, j’avais le fameux t-shirt avec le logo de Batman dessus. Mais, j’avais besoin de plus. Je voulais en connaître davantage sur le personnage. 1989 marquait également le cinquantième anniversaire du célèbre superhéros. Il possédait donc une riche mythologie qui existait depuis longtemps. Par quoi débuter? Un ami possédait quelques comics. Il me les a prêtés. Je suis devenu accro!

À cette époque, quelques histoires propulsent les ventes des bandes dessinées de Batman. En 1986, Frank Miller créé une onde de choc avec The Dark Knight Returns, une histoire sombre qui met en vedette un Bruce Wayne vieillissant qui sort de retraite afin de combattre le Joker une dernière fois. Dans cette bédé plutôt violente destinée à un public plus âgé, le justicier affronte même Superman dans un combat épique. Miller récidive en 1987 avec Batman : Year One, dans lequel il réinvente les origines de Batman dans une histoire centrée sur l’emprise du crime organisé sur Gotham. En 1988, Alan Moore, une autre grosse pointure de la bande dessinée écrit The Killing Joke, qui met en scène un Joker déchaîné qui s’en prend psychologiquement au commissaire James Gordon et même physiquement à sa fille Barbara, qui est également Batgirl. La même année, Jason Todd, le deuxième Robin, est tué aux mains de l’ennemi juré de Batman, suite à un sondage auprès des lecteurs. Bref, l’éditeur DC Comics n’a pas peur d’ébranler l’univers de son personnage maintenant devenu plus populaire que leur fleuron Superman, considéré comme le grand-père des superhéros.

En avril 1938, l’arrivée de Superman dans le premier numéro d’Action Comics (daté juin sur la couverture) change à jamais l’industrie de la bande dessinée américaine. Les 200 000 exemplaires s’écoulent en quelques jours seulement grâce au personnage à la cape rouge qui devient rapidement une figure dans la culture populaire. Ses aventures se vendent jusqu’à un million d’exemplaires et on lui donne même son propre titre, Superman, doublant les ventes de l’éditeur National Comics Publications (futur DC Comics). La popularité du personnage rejoint plus que les jeunes lecteurs habituels de comics. Et, si les héros costumés existaient déjà, on peut penser à Zorro, The Phantom et The Shadow, aucun n’exhibait d’aussi forts, voire surnaturels, pouvoirs que Superman. C’est le début de l’âge d’or des superhéros et, évidemment, l’éditeur va chercher à capitaliser sur cette nouvelle fascination du grand public pour ces personnages plus grands que nature.

Batman est le deuxième superhéros à voir le jour, soit en 1939 dans le numéro 27 de Detective Comics, et non dans la bande dessinée Action Comics qui est désormais réservée à Superman. Curieusement, Batman connait un succès tout aussi immédiat que son rival, même s’il représente tout son contraire. Superman est coloré, positif et invulnérable (jusqu’à l’apparition éventuelle de la kryptonite!). Batman est sombre, violent (pour son époque) et humain. Et, ces caractéristiques sont pleinement voulues de la part de ses créateurs, le scénariste Bill Finger et l’illustrateur Bob Kane.

Mais au départ, le Batman imagé est assez différent de celui qui sera éventuellement publié. Lorsque Bob Kane approche Bill Finger pour lui présenter son personnage, ce dernier trouve qu’avec son uniforme rouge, il est un peu trop inspiré de Superman. Finger joue un grand rôle dans le look final qu’aura le héros. S’inspirant de Zorro, il lui suggère un costume sombre, mais de remplacer le masque domino que porte Batman (comme le fait Zorro) par une cagoule. Il propose également de lui faire mettre des gants. Quant à sa cape qui évoque des ailes de chauves-souris, elle est inspirée de la peinture La machine volante de Léonard De Vinci. C’est également le scénariste qui baptise le personnage Bruce Wayne. Il utilise un mélange des noms de Robert Bruce, patriote écossais qui deviendra éventuellement roi d’Écosse, et d’Anthony Wayne, un célèbre général de la Révolution américaine.

Même s’il est largement considéré un superhéros, Batman puise plutôt ses origines dans les personnages de la littérature pulp, en particulier Zorro et The Shadow, que de Superman. Comme eux, Bruce Wayne est un aristocrate qui se sert de sa fortune pour combattre le crime par l’utilisation d’un alter-ego masqué. Si Superman utilise sa force surhumaine pour contre ses ennemis, Batman, se sert, en bonne partie, de son cerveau. On a tendance souvent à l’oublier, surtout par ses interprétations au petit comme au grand écran, mais Bruce Wayne est un excellent détective qui n’a rien à envier à Sherlock Holmes.

Mais, malgré sa popularité immédiate, ses premières aventures causent une certaine controverse alors que des parents trouvent le personnage plutôt violent. À ce moment, tout comme The Shadow, Batman utilise des pistolets et il n’éprouve aucun remords à tuer des méchants. Face à la polémique, l’éditeur ordonne donc que Batman n’utilise plus des armes à feu. Bill Finger pousse également pour la présence d’un « partenaire » plus gai pour contrebalancer le côté sombre du héros.

Si Bob Kane n’est pas très chaud à l’idée que Batman puisse avoir un acolyte, il se range derrière son scénariste qui lui vend l’idée que Robin sera son « Watson ». C’est Jerry Robinson, l’assistant de Kane, qui participe à sa création en le baptisant en honneur de l’un de ses personnages préférés, Robin des Bois. Il s’inspire également des illustrations du personnage par l’artiste N.C. Wyeth et du comédien Errol Flynn qui avait interprété le légendaire héros dans un film de 1938. Le coloré Robin fait ses débuts en mars 1940 dans le numéro 40 de Detective Comics. Le pari donne raison à Finger, car la venue de Robin double les ventes du titre et les jeunes lecteurs raffolent du personnage auquel ils peuvent s’identifier. Pour le scénariste, la tâche d’écriture est plus facile alors qu’il brise Batman de l’isolement et lui permet d’interagir avec quelqu’un d’autre.

Robin est également présent dans une deuxième bande dessinée avec Batman, simplement intitulée Batman, que DC Comics lance le mois suivant. Ce numéro est l’un des plus importants de la série car il introduit deux autres personnages marquants dans la mythologie du justicier : Catwoman et le Joker.

Bill Finger et Bob Kane veulent non seulement un adversaire féminin pour Batman, mais aussi potentiellement une partenaire romantique. L’idée d’associer ce nouveau personnage aux chats est très volontaire alors que les auteurs trouvent non seulement que les félins offrent un bon contraste aux chauves-souris, mais qu’ils présentent des traits similaires aux femmes : détachés et peu fiables! Kane étant un grand cinéphile, il emprunte les traits de la comédienne Jean Harlow pour Selina Kyle. Catwoman sera l’un des personnages les plus récurrents dans les bandes dessinées jusqu’en 1954. Cette année-là, l’industrie se dote d’un nouveau code moral pour l’édition, le « Comics Code Authority » qui cherche à contrôle le niveau de violence et de sexualité dans les publications. Peur d’être pris en défaut, les éditeurs évitent toutes controverses et DC Comics préfèrent écarter Catwoman de ses pages. Elle ne reviendra qu’en 1966!

Si, au fil du temps, la célèbre femme-chat a eu des liens amoureux avec Batman, l’éditeur DC Comics s’est récemment trouvé au centre d’une controverse impliquant le duo. Justin Halpern et Patrick Schumacker, les scénaristes de l’émission animée Harley Quinn diffusée sur HBO Max, ont coulé lors d’en entretien que l’éditeur s’était opposé à une scène dans laquelle Batman effectuait un cunnilingus à Catwoman! Il craignait l’impact des ventes sur leurs jouets!

Quant au Joker, sa paternité est encore aujourd’hui disputée alors que Finger, Kane et Robinson diffère sur sa création, bien que les trois soient légalement crédités dans la bande dessinée. On peut donc affirmer avec certitude que les trois ont contribués au visuel du personnage. Jerry Robinson souhaite donner à Batman un adversaire de taille récurrent dans la même veine que Sherlock Holmes et Moriarty. Ce dernier aurait donc illustré un Joker inspiré d’un jeu de cartes. À la suggestion de Bill Finger, Bob Kane aurait retravaillé l’image en s’inspirant du comédien allemand Conrad Veidt dans son rôle de Gwynplaine dans le film de 1928 L’homme qui rit, adaptation du roman du même nom de Victor Hugo. Difficile de dire exactement qui a fait quoi alors que les trois sont décédés!

Contrairement à Robinson, Finger désire voir mourir le Joker dans l’histoire. C’est l’éditeur Whitney Ellsworth, jugeant l’énorme potentiel commercial du personnage, qui s’y oppose. Il apparaît finalement dans les neuves premières histoires sur douze du comics Batman. Plutôt violent, il provoque la mort d’une douzaine de victimes, le Joker subira également des changements avec le « Comics Code Authority » alors qu’il devient plus un bouffon, délaissant graduellement ses traits de psychopathes. Il retrouvera ses origines plus sanguinaires en 1973 sous la direction de la nouvelle équipe créatrice, le scénariste Dennis O’Neill et de l’artiste Neal Adams.

Heureusement, Batman ne possède pas que des ennemis! Il détient aussi quelques alliés fidèles. Alfred Pennyworth n’était pas toujours le serviteur à la solde de la famille Wayne et son introduction ne s’est pas fait dans les comics, mais plutôt dans une série de films à épisodes diffusée en 1943. Curieusement, la première apparition d’Alfred ne correspond pas à l’image classique du personnage. Bien qu’il soit Anglais, le futur majordome est bedonnant et ne porte pas de moustache. C’est dans le numéro 16 de Batman qu’Alfred débarque chez Bruce Wayne prétextant que son père avait été un serviteur de la famille. Bruce, ne voulant pas le chasser, accepte sa demande d’être à son emploi. Dans la même histoire, Alfred découvre la véritable identité de ses maîtres par erreur alors qu’il actionne un levier qui le mène à la Batcave. À ses débuts, Alfred un plus un bouffon qui tente de mener une double vie comme détective. Il a même droit à une courte aventure à la fin de chaque bande dessinée dans laquelle il enquête un cas dont il trouve toujours le coupable malgré lui. Suite au succès du sérial, DC Comics veulent que le personnage ressemble à celui de son interprète, le comédien William Austin, qui est mince et qui porte une fine moustache. Alfred porte donc ce nouveau look à partir de 1944.

Parmi ces autres alliés, on peut compter sur le commissaire James Gordon, présent dès la première histoire de Batman dans Detective Comics 27. Batwoman (1956) et Batgirl (1961) sont créées pour contrecarrer les critiques conservatrices envers la série qui soutiennent que Batman et Robin sont homosexuels, donc une influence néfaste pour la jeunesse. Oui, oui! La série était centre d’une thèse du psychiatre Frederic Wertham qui affirmait en 1954 que les comics book poussaient ses jeunes lecteurs à devenir des adolescents délinquants!

L’une des caractéristiques populaires de la série Batman est la présence de gadgets et de véhicules thématiques (qui font vendre plusieurs jouets!). C’est dans le numéro 31 de Detective Comics que ce premier véhicule apparaît. Et non, ce n’est pas la Batmobile! Il s’agit du premier Batavion, un petit monoplace nommé le « Batgyro ». Il est introduit dans une histoire qui mène Batman sur les traces d’un vampire en Europe. Si Batman utilise une voiture dans sa première aventure, elle est plutôt normale et même de couleur rouge. Le nom de « Batmobile » est officiellement utilisé lors du numéro 48 de Detective Comics publiée en janvier 1941 et son visuel iconique noir aux allures de chauve-souris apparaît le mois suivant dans le numéro cinq de Batman. D’autres véhicules suivront comme la « Batmoto » et le « Batbateau ». Robin, lui, doit attendre en 1993 avant d’avoir sa propre motocyclette thématique, le « Redbird ».

À la fin des années 1940, les ventes des comics de superhéros sont à la baisse, alors que les bandes dessinées de westerns, de Disney et d’Archie occupent les palmarès. Afin de freiner cette chute, DC Comics a l’heureuse astuce de réunir ses deux vedettes, Superman et Batman, dans un nouveau titre intitulé World’s Finest Comics. Le succès de cette série, puis celle de Justice League, permet à Batman de maintenir une certaine popularité. Le titre cessera d’être publié en 1986.

Au fil du temps, Batman est toujours demeuré présent en bandes dessinées. Et, encore aujourd’hui, il demeure le grand fleuron de l’éditeur DC Comics. Il rapporte annuellement plus de 500 millions, incluent les ventes de produits dérivés, soit le double de Superman avec ses 250 millions. Par contre, l’homme d’acier a toujours le dessus sur le chevalier noir sur un aspect : celle de la bande dessinée la plus convoitée parmi les collectionneurs. En 2014, un exemplaire du numéro un d’Action Comics s’est vendu à un peu plus de trois millions US. Le premier numéro de Batman a quant à lui récolté 2,2 millions lors d’une enchère qui a eu lieu en 2021. Quand même pas si mal pour une bande dessinée qui se vendait 10 cents à l’époque!

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