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Et si… le bogue de l’an 2000

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Et si l’Histoire avait dévié du cours que nous lui connaissons, quel visage aurait notre monde? Et si, par le biais de l’imagination prospective, il devenait possible de suivre une trame temporelle déviante et de l’explorer à travers les yeux de l’un de ses acteurs? C’est ce que nous tenterons d’accomplir dans cette chronique qui, ce mois-ci, donne la parole à l’un des derniers survivants du bogue de l’an 2000.

Ça y est, c’est le moment. Je lock le verrou de mon abri nucléaire, ce qui constituera mon ultime tanière, celle dans laquelle je me terrerai jusqu’à la fin de mes jours.

31 décembre 1999 : 23 h 59

Pourquoi? Car nul ne survivra au bogue de l’an 2000 dont Simon Durivage parle aux Nouvelles TVA. Certains fourbes n’y croient pas, mais, moi, je les ai vus venir les risques liés à ce bogue. Il y a principalement les risques spécifiques à l’informatique, mais il y a aussi les risques financiers et humains. Perte d’informations, perte de structures, perte de compréhensibilité, perte de normalisation, perte d’actifs, perte de biens et services, perte de santé de vie, perte reliée à l’insécurité, à la tension psychologique et au stress! Bref, je ne plierai pas face à l’apocalypse des temps modernes. Isolé, autosuffisant, je survivrai envers et contre tous.

Janvier 2020

L’étanchéité de mon abri s’est affaiblie au fil des deux dernières décennies qui se sont écoulées et la présence des rats se fait de plus en plus insistante. N’ayant possiblement plus rien à manger à la surface, ils se sont infiltrés et sont venus dévaliser, saccager ce qui constituait ma réserve de nourriture, et ont même considéré m’inclure dans cette réserve comme en témoignent mes multiples morsures. Je n’ai d’autres alternatives pour survivre que de quitter mon lieu sécurisé et de réintégrer mon ancien monde.

À mon grand étonnement, c’est le calme plat qui y règne. Équipé de ma combinaison antibactérienne et de mon masque à gaz, je redécouvre ce qui fut, jadis, mon nid douillet. Derechef, j’allume l’interrupteur et l’ampoule usée réagit de peine et de misère à cette mise en marche. Première séquelle laissée par le bogue de l’an 2000.

Je me dirige ensuite vers mon bureau de travail, là où j’effectuais ma comptabilité rigide et bien cordée. Deuxième indice que le bogue de l’an 2000 n’était pas qu’un leurre! La date sur l’ordinateur indique que nous sommes en 1920. Comment aurais-je pu continuer à faire des rapports d’impôts bien ficelés avec un logiciel qui se serait fié à cette date erronée!? C’eût été le chaos total en raison de la marge prononcée entre les salaires de 1900 et ceux de 2000. Seuls de grands mathématiciens auraient pu développer des formules élaborées afin de rétablir l’équilibre dans ce gouffre financier.

Je m’approche de la cuisine et, encore, une preuve irréfutable du bogue me heurte violemment. L’heure sur le four à micro-ondes scintille, présage qu’un court-circuit à haut voltage l’a probablement frappé lorsque minuit a sonné, le 1er janvier 2000. J’ouvre la portière de la petite boite distributrice d’ondes cancérigènes et je constate qu’une Pop-Tarts intacte a traversé le temps, sans une ride, sans une trace de vieillissement. J’ai une pensée pour l’efficacité des agents de conservation qui devraient possiblement être considérés en médecine plutôt que le botox.

Avec précautions, le salon est maintenant la pièce que j’attaque. Je m’empare de la manette et j’ouvre le téléviseur. Celui-ci est figé sur une seule chaine que je ne peux changer et je constate l’étendue du bogue. Une émission dans laquelle des gars et des filles demeurant dans deux maisons distinctes tentent de se matcher à travers des voyages et des soirées arrosées m’est présentée. Écoutant leur langage et leurs mœurs primitifs, je ne peux que constater l’effet que les radiations ont eu sur leur cerveau abimé et hypothéqué à jamais. Je ne peux qu’être désolé pour cette génération qui subit les contrecoups du bogue.

C’en est trop, je décide de sortir et de constater l’étendue des dégâts extérieurs du bogue. Je croise des humains mutants à la main desquels est maintenant greffée une petite boite noire rectangulaire. Ils y parlent, ils la fixent, ils la touchent, ils la regardent indéfiniment. La puissance du bogue a créé une race futuriste dont les organes sont mi-humains, mi-technologiques! Je ne peux m’empêcher de me demander si, dans leurs souliers, un pied en forme de pagette a poussé. Je n’aime pas ce que je constate, je retourne chez moi.

À mon retour, je constate qu’à la radio, rien n’a changé. C’est aussi insipide qu’avant mon isolement. Un policier m’intercepte sur le bord du chemin et me demande si tout va bien, prétextant que je semble confus et qu’un signalement d’homme étrange a été porté. Je lui indique que les effets néfastes de l’année 2000 me consternent et que je me dois de retourner là d’où je viens avant d’être infecté. Il sort du véhicule et me somme de m’immobiliser, me menaçant d’un petit dispositif que je ne connais pas. Son discours répétitif ne me bluffe pas, il est un robot issu des hautes technologies. Je m’approche de lui et ZZZZZZZ! Il me lance une décharge d’une puissance inouïe qui me fait me tortiller instantanément au sol! Cette décharge, je la sens partout dans mes veines, dans ma colonne! Je comprends ce qu’il est en train de faire, il m’injecte le bogue de l’an 2000 pour que je devienne comme eux! Je me débats, mais je ne peux rien contre cette arme massive. J’ai beau crier que je veux retourner dans les années 1990, là où tout était bon et humain, malheureusement, les renforts appelés par le policier ont le dessus sur moi.

Septembre 2020

Le juge m’annonce qu’une cellule dans laquelle différents médecins se succèderont pour m’analyser sera mon nouvel abri nucléaire. Je regrette amèrement de ne pas m’être laissé dévorer par les rats dans ma cache, devenant à mon tour le rat de laboratoire, moi, l’humain ayant survécu au bogue de l’an 2000.

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