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Le taupin

Chroniqueur Jonathan Roberge
Photographe Maggie Boucher
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Le soleil se lève, la rosée fait perler chaque petit brin d’herbe et les oiseaux gazouillent en étirant leurs ailes. Un cheval galope, la graine au vent, et fait vibrer le sol de ses élans de liberté. Le paysage, baignant dans une lumière orangée, est aussi doux qu’un câlin de grand-maman. L’air frais remplit tes poumons et la vie est bonne à vivre. Tu marches dans un champ et la quiétude du moment te fait croire pendant quelques secondes que le paradis n’est pas au-delà des nuages, mais qu’il est là, sous tes pieds… La chanson Ave Maria joue au loin pendant que le vent caresse ta nuque de monsieur et qu’une belle fille te fait des sourires.

Une silhouette s’approche, mais qui est-ce?

Plus l’individu s’approche, plus tu te questionnes sur sa présence dans ton « moment parfait ». Il apparaît, il est devant toi. C’est un grand pas beau qui louche du regard comme s’il bégayait des yeux. Il a de longues palettes écartées dans sa bouche, nu chest en dessous de sa salopette qui tient par une seule bretelle. Il te parle de près avec une voix de mongol et sent le pet shop dans la bouche; ses postillons font des vols planés et atterrissent dans ton visage.

C’est officiel, c’est le grand taupin qui vient saloper ta vie.

Tu comprendras que la scène que je viens de te décrire est métaphorique et qu’elle représente ce que tu vis quotidiennement : tout va bien jusqu’à tant qu’un épais vienne te faire subir les conséquences de ses gestes de grand tarla.

Tous les jours de ton existence, tu côtoies « le taupin » au travail. Au début, tu le trouves gentil, tu crois que c’est une personne timide qui s’exprime différemment et ce n’est pas grave. Tu as même de bonnes conversations avec lui.

Un moment donné, lors d’une discussion random, tu te rends compte que l’individu devant toi est complètement dépourvu d’intelligence, que c’est rien d’autre qu’un incompétent. Tu remarques que dans son regard il y a : sweet nothing. Il ne rit pas au bon moment, il ne comprend pas les informations que tu lui transmets et sa bouche est toujours à demi ouverte quand il te regarde. Clairement un indice de son imbécilité, plus sa bouche est ouverte sans raison, plus son QI est bas. Il est l’incarnation de la stupidité, mais avec des running shoes.

Je ne parle pas ici de quelqu’un qui possède un handicap mental. Jamais je ne rirais de ça.

Oh que non, je vous jase du gars qui est… comment dire? « Un esti de cave » au masculin ou « une estie de conne » au féminin.

Les premiers temps que tu fréquentes « The Taupin », tu es gentil et patient avec son absence de compétence. Car tu ne voudrais pas avoir l’air du sauvage à ta job qui juge tout le monde.

Souvent à cause du taupin/incompétent/tata/cave, c’est toi qui es pogné pour travailler en double pour combler ses erreurs. C’est à cause de lui que tu te blesses parce qu’il force tout croche, que ton boss te donne de la marde pour le bordel dans la shop, que tu es en retard dans les délais de livraison d’un dossier, car l’épais a eu des problèmes avec l’imprimante et n’a pas jugé bon de t’en parler.

Le soir, rendu chez vous, tu te brosses les dents en te regardant dans le miroir et tu te dis que c’est prétentieux de ta part de douter des prouesses cérébrales du taupin que tu côtoies à ta job, même que tu parles de lui à ta blonde en revenant du travail et elle te dit :  « Franchement, il ne doit pas être si tata que ça? »

Tu donnes raison à ta blonde, mais naturellement, tu n’es plus capable d’endurer l’ostie d’incompétent qu’il est. Ton cerveau sécrète une shit scientifique qui fait en sorte que chaque fois que tu le croises et qu’il te pose une question de cave, tes poings se ferment, tu deviens trempe dans le dos et tu as le goût d’y crisser un sidekick dans gorge pis de pogner le gun à clou qui traîne dans un coin pis de lui « gunshooter » des clous dans le cul.

Il y a un déclic qui se fait dans ta tête, peu importe ce que cette personne-là va te dire, tu vas la trouver stupide, dorénavant. Chaque geste qu’elle commettra, tu réaliseras à quel point son cerveau est démuni de toute logique. L’être vivant qu’est « le taupin » ne veut pas faire de mal. Ce n’est pas le typique trou de cul qui veut juste faire du tort. Il est juste épais naturellement.

Un jour, à l’heure du lunch, tu jases avec le taupin et tu te rends compte que c’est pas un mauvais gars, que sa mère est morte d’un cancer dernièrement, qu’il a un enfant de quatre ans super cute et qu’il peut être sympathique entre deux bouchées de sandwich au baloney. Tu te sens coupable d’avoir ressenti toute cette haine envers son QI de marde et tu es soudainement rempli de compassion… Tu l’invites donc à souper chez vous avec les boys pour écouter le hockey.

Après cinq minutes, il te tombe déjà sur les nerfs; ostie qu’il est épais! Tu en parles avec tes amis et ils ne le trouvent pas si cave que ça, même qu’eux le trouvent bien sympathique et se foutent qu’il soit un peu plus tata que la moyenne. Tu culpabilises davantage. Tu es persuadé que tu as besoin de consulter pour un problème d’agressivité, mais comment tu approches un psy avec ce genre de problème?

« Yo, doc! Y’a un taupin à ma job qui a posé les feuilles de gypse tout croche pis j’ai dû tout recommencer pendant qu’il allait nous chercher des cafés au Tim, parce que c’est la seule responsabilité qu’il puisse tolérer. Depuis ce temps-là, j’ai juste le goût de lui vider le cendrier du truck dans yeule! »

Dernièrement, j’ai travaillé avec UNE taupin; j’ai dû travailler des heures de fou pour arranger toutes ses erreurs et j’étais le seul qui semblait remarquer la problématique lors du contrat et j’en suis venu à la conclusion que nous sommes tous des taupins pour quelqu’un. C’est clair qu’au moment de lire ces lignes, tu es le tata de quelqu’un et qu’il te déteste pour ta stupidité. C’est sûr que je suis l’imbécile de quelqu’un même en ce moment.

(Article publié dans l’édition #125 mars 2015 – www.boutiquesummum.com)

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