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Mononc’ Serge

Rédacteur en chef Jean-Sébastien Doré
Photographe Pierre Lanthier
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Que ceux qui se crissent de Mononc’ Serge changent de page

Il est étrange d’imaginer le personnage de scène qu’est Mononc’ Serge lorsque l’on s’adresse à Serge Robert, un interlocuteur humble, généreux et décontracté. L’hyperactif (autre) oncle de la chanson québécoise, toujours maître pourfendeur de nos complaisances et massacreur impénitent de nos petites et grandes laideurs, est constamment en tournée aux quatre coins de la province et, bien qu’une certaine maturité teinte maintenant son travail, il suffit de lui passer le crachoir pour qu’une nouvelle galette extra bile se retrouve sur notre platine. Il nous a récemment consacré quelques minutes pour un entretien qui se trouve juste ici, en bas. Suffit de baisser les yeux.

Ton plus récent album, Réchauffé, qui est paru au début de l’année, revisite quelques-unes de tes anciennes compositions, certaines datant même l’époque des Colocs. Mononc’ Serge en serait-il à l’heure des bilans ou est-ce seulement un petit ménage de printemps afin de préparer la suite? Je te dirais que ça relève plus du ménage de printemps. En fait, l’album Réchauffé, je n’ai pas trop réfléchi à comment ça s’inscrivait dans ma démarche, si on veut, quand je l’ai fait. Le projet origine d’une volonté de laisser un témoignage des chansons telles que je les fais en show ces temps-ci avec mon groupe. Quand j’ai sorti l’album précédent, Révolution conservatrice, à la toute fin de 2017, j’ai réarrangé des vieux morceaux pour les intégrer au show et souvent, c’était des morceaux qui, dans leur version originale, avaient une instrumentation acoustique. J’en ai fait des versions plus électriques, plus punk rock, je trouvais ça vraiment le fun et je me disais que ce serait bien d’en avoir des enregistrements. J’étais parti à l’origine avec l’idée de faire un album en spectacle, mais de fil en aiguille, j’en suis venu à vouloir faire un album studio. Le noyau de tounes qu’on avait arrangées pour le spectacle, on l’a ensuite grossi, de sorte qu’il y a des morceaux que je n’avais jamais joués en show sur l’album. Je suis même en train de me demander si je ne ferais pas un « Réchauffé 2 » où je ferais un exercice semblable, mais à l’inverse, parce que ça fait des années que je fais des shows seul à la guitare et que je fais des versions acoustiques de tounes – il y a même des tounes que je faisais avec Anonymus que je reprends en version acoustique. Ça se peut donc qu’il y ait un « Réchauffé 2 » l’année prochaine, d’autant plus que je vais recommencer à faire des spectacles en solo. Je ne vais pas arrêter de faire des shows de rock en groupe, mais je vais, comment dire… diversifier l’offre. Je vais donc recommencer les shows acoustiques, chose que je n’ai pas beaucoup faite dans les dernières années, sauf exception.

Est-ce que tu penses à certaines pièces en particulier, qui profiteraient de la transition du rock ou du métal vers l’acoustique? Oui, oui. Il y a des morceaux que je fais depuis des années. Par exemple, Le joual, Woodstock en Beauce, des trucs comme ça. Même Marijuana. Des trucs qui étaient punk rock ou métal à l’origine. Ce serait un album pas trop compliqué à faire, puisque je serais à peu près tout seul, ça ne serait pas cher. (Rires) L’album serait aussi une bonne manière de mettre en lumière les shows en solo de l’an prochain.

Est-ce que c’est toi qui réalises tes albums, ou est-ce qu’il y a une machine immense que tu dois réchauffer à chaque début de projet? Il n’y a jamais de réalisateur pour mes disques. Tu sais, un disque, quand on fait un enregistrement, ça se réalise tout seul même si personne ne porte le titre de réalisateur. Pour Réchauffé, c’est sûr qu’au final c’était moi qui tranchais, mais j’ai fait la plupart des arrangements avec mes musiciens, donc on peut dire que c’est pas mal tout le monde qui trempe dans la réalisation.

Je me souviens d’une vieille biographie sur ton site web il y a plusieurs années où on retrouvait une suite de groupes à toi avec un vécu un peu débile. As-tu déjà joué dans un hommage à Kiss ou dans des trucs du genre? Ah, ça, l’hommage à Kiss, c’était du déconnage. C’était un peu difficile de s’y retrouver, parce que cette bio-là sur mon site mélangeait des vraies affaires avec des trucs que j’avais inventés. C’est drôle, parce qu’un des guitaristes qui m’accompagne aujourd’hui jouait pour vrai dans un hommage à Kiss jusqu’à tout récemment. En réalité, j’ai joué dans des petits groupes à gauche et à droite, mais je n’ai jamais fait d’hommage. Donc pas d’hommage à Metallica nu. (Rires)

C’était quoi tes influences en début de carrière? On a tendance à se dire que Mononc’ Serge était un membre des Colocs, puis il a amorcé une carrière solo, mais est-ce que ton passage dans les Colocs a eu une influence dans ta démarche? Il y a un avant et un après, ou tout se confond? Je te dirais que dans ma manière de composer des chansons, ça n’a pas changé tant que ça. Évidemment, c’est difficile pour moi d’identifier bien clairement ce qui s’est passé avec les Colocs au niveau artistique. Franchement, je ne vois pas de changement bien radical entre avant les Colocs et après au niveau de mon écriture. C’est clair, par contre, qu’au niveau des arrangements… Je ne veux pas trop aller dans les détails, mais sur le premier album des Colocs [Les Colocs, paru en 1993], le réalisateur était surtout un arrangeur et les questions qu’il se posait quand il était devant nos chansons m’ont inspiré et je pense que je suis un meilleur chansonnier ou, comment dire, un meilleur écriveux de chansons depuis. J’avais tendance à faire des chansons couplet-refrain, couplet-refrain, à la Georges Brassens, des trucs très linéaires, et lui est arrivé face à ma toune Je chante comme une casserole, et on a ajouté un bridge, des trucs. La version pré-Colocs de la chanson était très couplet-refrain, couplet-refrain. Il y avait quatre refrains et quatre couplets qui se suivaient comme ça et c’était tout. Là, on l’a vraiment changé quand on a fait l’album et j’ai trouvé que c’était un bel exercice à faire, d’apprendre à mettre des variantes, etc. Ça m’a donc pas mal aidé sur cet aspect-là.

Une autre affaire est arrivée, après les Colocs, quand j’ai sorti mon tout premier disque Mononc’ Serge chante 97. J’avais proposé des chansons à Pierre Tremblay, qui était le patron de la compagnie avec qui j’allais sortir l’album, et lui écoutait mes tounes et me disait « c’est bon, mais c’est trop long, il faudrait que tu coupes ». Il m’a dit ça pour les deux tiers des chansons. J’ai donc travaillé pour les raccourcir. C’était des tounes sur des thèmes d’actualité et j’ai vraiment fait un effort pour les ramasser. C’était des chansons de trois ou quatre minutes, parfois presque cinq, que j’ai ramenées à deux minutes et demie, trois minutes. Ça a vraiment fait du bien, c’était plus efficace. Tu vois, c’est un peu les deux jalons dans ma méthode d’écriture : de faire ça au plus court avec des structures qui changent.

Est-ce qu’il y a du vrai dans ta chanson Je chante pour les morons? Je blague, mais est-ce que des gens t’abordent sur un ton mononc’ sergesque, celui de certaines de tes chansons, sans comprendre que le gars avec la guitare n’est pas ce gars trash-là? La toune m’a vraiment été inspirée par une ligne ouverte, comme je le dis au début du morceau. J’étais à la radio, je participais à une ligne ouverte à Cool FM et j’étais vraiment découragé des discussions que j’avais avec les gens. Alors, en revenant à vélo, je me suis imaginé le riff et les paroles de la chanson, mais je ne savais pas comment arriver au refrain et tout bêtement, j’ai pensé parler de la manière dont l’idée m’était venue. Toujours est-il que oui, il y a toujours une fraction du public qui… En même temps, quand je joue dans les bars, il y a des gens bien saouls qui viennent me voir, et plus ils sont saouls, plus ils sont incohérents et extravertis. Donc, des fois, j’ai à gérer des gens qui sont un peu pénibles. (Rires) Je dis un peu, parce que les gens qui viennent me voir, ils sont contents, ils aiment ma musique, et ça arrive d’autant plus que je suis accessible en show, c’est souvent moi qui vends mes CDs, mes t-shirts, des trucs comme ça, et les gens viennent piquer une petite jasette quelques minutes. Mais un moment donné, quand ça fait 10 minutes et que t’essaies de mettre fin à la conversation, de te sauver…

De quel projet ou de quelle chanson est-ce qu’on te parle le plus encore aujourd’hui? Les disques avec Anonymus. Il n’y a pas un show sans que quelqu’un me parle d’Anonymus. Ça a beaucoup marqué les gens, à tout le moins les gens qui viennent me jaser.

Ils s’attendent à un retour? Je me le fais demander souvent, mais tu sais, ce qui va me décider à faire un autre album avec Anonymus ou un autre album acoustique, c’est les chansons que je vais écrire. Je suis rendu là, en fait. Je te parlais tantôt d’un album acoustique de reprises, ce qui ne serait pas très long à faire, mais la grosse job que j’ai à faire pour la prochaine année, c’est écrire des chansons. Quand je serai rendu à 8, 10, 12 chansons, je vais voir ce que je fais avec ça. Est-ce que c’est des tounes qui me poussent plus dans une direction métal, ou punk rock? Une fois que j’aurai un noyau de chansons, je préciserai la direction du nouveau projet. Je procède comme ça. Tu sais, le métal… Moi, j’aime ça faire des albums et des shows avec Anonymus, mais c’est un ton qui est vraiment particulier, il faut avoir des choses agressives à dire. Ça peut être bien comique, bien le fun, mais des fois, je n’ai pas le matériel qui se prête bien à ça.

Crédit photo : Pierre Lanthier

J’AIME ÇA FAIRE DES ALBUMS ET DES SHOWS AVEC ANONYMUS, MAIS C’EST UN TON QUI EST VRAIMENT PARTICULIER, IL FAUT AVOIR DES CHOSES AGRESSIVES À DIRE

Et ton approche de l’écriture, est-ce qu’elle a changé avec les années? Ah oui, ça, c’est clair. Je fais plus attention… J’écoutais des choses comme Mon voyage au Canada et 13 tounes trash et c’est clair que oui, je suis beaucoup plus prudent qu’avant, mais d’un autre côté, ce n’est pas si pire que ça dans la mesure où moi aussi je change avec le temps. Disons que l’espèce de plaisir que je prenais à faire des trucs vraiment agressifs est moins là qu’avant. Je pense à la vulgarité, en général : quand j’ai commencé à écrire des chansons et à en chanter, c’était quelque chose qui était pas mal plus marginal qu’aujourd’hui, alors que maintenant… J’ai fait un spectacle avec des humoristes il y a environ deux ans et tout le monde était extrêmement vulgaire, et c’était des humoristes relativement populaires. Je me suis dit que la vulgarité avait perdu son côté subversif, si on veut. Encore dans le temps des albums d’actualité, où je tenais des propos extrêmement vulgaires et injurieux, j’avais l’impression de faire quelque chose d’interdit, je trouvais ça le fun de le faire. Aujourd’hui, si tu veux entreprendre une démarche plus transgressive, te moquer méchamment d’une personnalité publique, c’est plus difficile à faire parce que tu ne peux pas le faire en circuit fermé, ça va potentiellement être partagé à l’échelle de la planète. (Rires) Il faut toujours avoir en tête que ton public potentiel peut être très, très nombreux.

Est-ce qu’on t’a déjà signifié un malaise par rapport à du vieux matériel que tu joues en spectacle ou qui est accessible sur tes albums? Oui, mais pas tant que ça. Je te dirais que ce n’est pas nouveau non plus. Ceux qui viennent me voir savent à quoi s’attendre et ceux qui n’aiment pas ce genre de délire-là ne m’écoutent pas. Je ne suis pas un artiste qui a une grande diffusion. Les gens qui écoutent la télé ou qui écoutent la radio vont assez peu tomber sur du Mononc’ Serge. En fait, les gens qui écoutent du Mononc’ Serge, ils vont vers ça. Donc, oui, ça arrive à l’occasion, mais si une seule personne vient te voir et que ça te fait reculer, t’es aussi bien de faire autre chose dans la vie.

Donc, il n’y a pas eu de fronde populaire contre, disons, Les grosses torches acadiennes? J’ai eu des remarques, dans le temps aussi, de gens du Nouveau-Brunswick. J’ai même eu des shows d’annulés au Nouveau-Brunswick. Il y avait du monde qui avait chialé contre cette toune en particulier. Cela dit, ce n’est plus une chanson que je fais aujourd’hui. Je n’aurais pas sorti ça aujourd’hui non plus. Je suis plus frileux, mais surtout plus sensible à ce que ça peut faire vivre. Mais tu vois, par rapport à cette chanson, dès l’album suivant, Serge blanc d’Amérique, j’en ai fait une autre qui s’appelle Bacaisse et qui revenait sur le sujet, parce que je me demandais pourquoi on trouvait ça drôle, pourquoi les gros ou les obèses étaient la cible de moqueries. J’ai un peu affiné mon truc avec les années, parce que… je ne sais pas, peut-être que je deviens plus sensible avec le temps. J’aime toujours ça faire des affaires trash, mais en même temps, c’est tempéré par… peut-être un petit peu plus de réflexion, je ne sais pas.

(Article publié dans l’édition #167 décembre/janvier 2020 – www.boutiquesummum.com)

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