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OUIJA

Chroniqueur Christian Page
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ENTRE LE MYTHE ET LA RÉALITÉ

De tous les objets associés à l’occulte, aucun n’a autant été diabolisé que le Ouija. Plusieurs films l’ont utilisé en filigrane de leur action, qu’on pense au classique The Excorcist (1973) ou, plus récemment Ouija: Origin of Evil. Ces dernières années, la tablette a connu un regain de popularité auprès des adolescent(e)s. Faut-il s’en inquiéter ou s’en amuser?

Le Ouija remonte à l’âge d’or du spiritisme. En 1848, dans le nord de l’État de New York, les sœurs Kate et Margaret Fox auraient réussi une première communication « volontaire » avec un revenant en utilisant un code de coups frappés dans leurs mains. L’histoire a fait boule de neige et, du jour au lendemain, des centaines de gens se sont déclarés capables d’entrer en contact avec les morts. Le spiritisme était né. Cet art de communiquer avec les défunts s’est répandu comme une traînée de poudre. « Faire parler des tables » est vite devenu une activité à la mode. Si les médiums utilisaient au départ des codes sonores pour communiquer avec les défunts – un coup pour « oui » et deux coups pour « non » –, ils ont bientôt développé des mécanismes d’échange plus sophistiqués. C’est à cette époque que sont apparues les « planches de communication ». En 1890, un inventeur, Elijah J. Bond, a développé la première planchette populaire, le Ouija, un nom composé du mot « oui » en français et en allemand. La planchette est aujourd’hui commercialisée par le géant des jouets Hasbro.

Le Ouija se présente comme une planchette où apparaissent les 26 lettres de l’alphabet disposées (généralement) en deux demi-cercles. En dessous, on retrouve les chiffres de 0 à 9; dans les coins supérieurs, les mots « oui » et « non » et, sous les chiffres, l’expression « Au revoir ». Les participants doivent placer leurs doigts sur un mobile – qui a la forme d’une goutte d’eau – et interroger les esprits. Si ceux-ci souhaitent répondre, ils guideront alors le mobile de manière à formuler une réponse claire… c’est du moins ce que prétendent les fabricants. Mais est-ce vraiment les esprits qui font bouger le mobile? Rien n’est moins sûr.

L’EFFET « IDÉOMOTEUR »

Le premier mécanisme en cause est l’effet « idéomoteur ». Il se traduit par des gestes inconscients. Par exemple, nous conduisons notre voiture et, tout en discutant avec un passager, nous mettons « machinalement » notre clignotant. Dans le cas du Ouija, notre volonté d’obtenir une réponse va déclencher des micromouvements musculaires (idéomoteurs) qui vont se traduire par une pression inconsciente sur le mobile, d’où les déplacements. Les esprits n’ont rien à voir là-dedans. Il suffit d’ailleurs de bander les yeux des participants pour que les réponses cessent de facto de faire sens. Mais il y a plus…

En 2012 et 2014, à l’Université de la Colombie-Britannique (UCB), à Vancouver, des chercheurs ont utilisé un Ouija pour évaluer la mémoire inconsciente. Dans un premier test, ils ont demandé à des volontaires de répondre par « oui » ou par « non » à des questions de connaissance générale (du genre : Phnom Penh est-elle la capitale du Cambodge?). À ce premier test, les participants ont répondu avec un taux de succès de 50 %. Dans un deuxième temps, les mêmes bénévoles ont été invités à répondre à une autre série de questions, mais cette fois en utilisant une planchette Ouija et en étant jumelés à un partenaire laborantin. Pour cette nouvelle expérience, les participants avaient les yeux bandés. Dès que ceux-ci ont été assis, les laborantins se sont discrètement retirés, les laissant seuls avec leur Ouija. À cette deuxième série de questions, les participants ont répondu avec succès (par « oui » ou par « non ») dans une moyenne de 65 %… Bien au-delà des attentes du hasard. Là encore, les chercheurs ne croient pas à l’intervention de l’au-delà. Ces résultats s’expliqueraient plutôt par une intelligence inconsciente qui serait enfouie en nous… D’après les scientifiques, nos connaissances seraient beaucoup plus grandes que celles dont nous nous souvenons de manière consciente. En faisant appel au Ouija, les participants s’en remettent davantage à leur « savoir » inconscient, croyant, à tort, que leurs réponses sont guidées par une transcendance, comme des esprits, ou dans le cas de l’expérience de l’UCB, par un partenaire laborantin.

ET LES ESPRITS LÀ-DEDANS?

Scientifiquement parlant, il n’existe aucune preuve que les défunts ont quoi que ce soit à voir avec les réponses du Ouija. Les mouvements seraient plutôt induits par des effets idéomoteurs ou une connaissance « inconsciente ». Cela dit, il existe une multitude d’anecdotes associées au Ouija référant à des expériences troublantes. Ces manifestations seraient-elles d’ordre surnaturel? Les scientifiques en doutent. Selon eux, le plus grand danger du Ouija n’est pas d’ouvrir une porte vers les enfers, mais la foi que d’aucuns pourraient y investir. Si des adeptes croient que ces réponses sont induites par des revenants omniscients, ils pourraient modifier leurs comportements en fonction de ces réponses.

Ces manifestations seraient-elles d’ordre surnaturel? Les scientifiques en doutent

Le soir de Noël 2014, un certain Paul Carroll, de Consett (comté de Durham) en Angleterre, a passé des heures à questionner les esprits par le biais d’une planchette Ouija. Au gré de la soirée, l’homme de 51 ans en est venu à croire qu’un esprit malveillant s’était introduit chez lui et avait pris possession de son chien, une femelle Bedlington terrier nommée Molly. Pour l’exorciser, Carroll a noyé l’animal dans la baignoire, l’a démembré et a jeté la carcasse dans un égout, derrière un pub. La pauvre bête a été découverte le lendemain et Carroll a été arrêté pour cruauté animale… Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Quelques semaines plus tard, Margaret Carroll (60 ans) – l’épouse de Paul – a ressorti le Ouija et, en compagnie de sa belle-fille, Katrina Livingstone (37 ans), elle a tenté d’entrer en contact avec l’esprit de Molly, sa chienne tuée le soir de Noël. Là encore, les choses ont pris une tournure inattendue. Au lieu de l’esprit du terrier, c’est une entité « non identifiée » qui se serait manifestée. Cet esprit aurait annoncé aux deux femmes qu’elles allaient bientôt mourir. Pour des raisons obscures, dès le lendemain, Margaret et Katrina ont avalé un cocktail de médicaments et ont mis le feu à la maison. Lorsque les sapeurs-pompiers sont arrivés, ils ont trouvé les deux femmes étendues dans la cour arrière, presque inconscientes. Elles ont été conduites à l’hôpital souffrant d’une intoxication sévère. Le lendemain, interrogées par la police – et suspectées de crime incendiaire –, elles ont expliqué qu’elles avaient joué les pyromanes sous l’influence d’un esprit diabolique apparu via la planchette Ouija. Pourquoi pas?

À l’origine, le Ouija se voulait un outil pour communiquer avec les défunts. La science l’a instrumentalisé pour en faire le prolongement de notre inconscient et la culture populaire l’a diabolisé, le hissant au rang des objets maudits. Voilà une histoire pour le moins surprenante pour un objet que l’on peut se procurer dans presque tous les magasins grande surface, au rayon des… jouets. J’ai moi-même un Ouija et me suis adonné à des dizaines de « séances ». Je n’ai jamais rien vu d’autre qu’un mobile excité par des micromouvements idéomoteurs ou une connaissance « inconsciente ». À en juger toutefois par la réaction des participants invités, le Ouija jouit définitivement d’un autre pouvoir : celui de raviver nos peurs et nos angoisses vis-à-vis l’inconnu.

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