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The Exorciste : 50 ans de frayeur!

Nicolas Lacroix
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Le studio Warner ne croyait pas vraiment au succès commercial de The Exorciste même s’il avait accepté de le financer. Sorti le 26 décembre 1973, le film était présenté sur 30 écrans dans une vingtaine de villes nord-américaines, une offrande très marginale pour l’époque, alors que les grosses productions pouvaient être projetées dans plus de 1000 salles de cinéma. Il faut dire que le genre horreur n’était pas encore devenu un créneau aussi lucratif qu’aujourd’hui pour Hollywood. 

En 1960, Alfred Hitchcock sort son Psycho, qui crée une certaine commotion par sa violence, mais nous sommes plus dans un thriller du type « slasher ». En 1968, George A. Romero fait sensation avec son film de zombies, Night of the Living Dead mais, malgré l’énorme succès du film, il demeure tout de même niché. La même année, Roman Polanski sort son adaptation du roman d’Ira Levin, Rosemary’s Baby. Par sa thématique entourant le satanisme et, surtout, son approche très réaliste à une histoire fantastique, ce film est peut-être celui qui se rapprochait le plus de The Exorciste, également à l’origine un roman écrit par William Peter Blatty. 

Blatty, dans la quarantaine, était déjà un scénariste établi à Hollywood. Cependant, il était surtout connu pour ses comédies écrites pour Blake Edwards, le réalisateur de The Pink Panther et Breakfast at Tiffany’s. En 1970, l’auteur se lance dans l’écriture de son roman, inspiré d’une histoire qui circulait sur le campus de l’université Georgetown alors que Blatty était étudiant en 1950. Les médias locaux avaient traité d’une histoire de possession d’un adolescent survenu un an plus tôt. Celle-ci est aujourd’hui connue sous le nom de l’exorcisme de Roland Doe, de son vrai nom Ronald Edwin Hunkeler, un garçon de 14 ans du Maryland qui aurait subi un exorcisme de la part de prêtres. 

À sa sortie, à l’été de 1971, le roman demeure plutôt dans l’indifférence jusqu’à la participation de Blatty à une émission de soirée de grande écoute dans laquelle il échange avec l’animateur sur l’existence du diable. Cet entretien causera un immense intérêt pour le roman, qui trônera rapidement aux palmarès des meilleurs vendeurs. Il restera en tête de la célèbre liste du New York Times pendant 17 semaines pour, finalement, s’écouler à 13 millions d’exemplaires lors de sa parution initiale. Pourtant, Hollywood ne se précipite pas pour en acheter les droits. D’une part, le sujet au cœur du récit, la possession et l’exorcisme d’une préadolescente, les rend frileux. Ensuite, Blatty exige de non seulement en faire l’adaptation, mais il veut également en être le producteur. C’est finalement la Warner qui décide de se commettre.  

Maintenant aux commandes de la production, Blatty sollicite plusieurs cinéastes, comme Mike Nichols (The Graduate), Stanley Kubrick et John Boorman (Deliverance), qui déclinent tous l’offre. Ironiquement, Boorman tournera la suite, mal accueillie, en 1977. Finalement, Blatty approche William Friedkin, une connaissance dont il a vu son nouveau film à paraître, French Connection. Il croit que l’approche quasi-documentaire de Friedkin cadre parfaitement pour sa vision du film. Friedkin, fan du roman, accepte le contrat, excité d’affronter les énormes défis que pose la production. 

En effet, la crédibilité du film repose sur les épaules de la comédienne qui incarnera Regan. Le public doit croire en la transformation d’une préadolescente pétillante en celle possédée par un démon. Mais, la production peine à trouver la bonne adolescente pour le rôle. Finalement, Linda Blair se présente avec sa mère de manière non sollicitée lors d’une session de casting. Intrigué, Friedkin accepte de la voir et, aussitôt, il voit quelque chose en la jeune mannequin. Le réalisateur est convaincu par la candeur et la franchise de Blair. 

En ce qui concerne les rôles de Chris, la mère de Regan, et du Père Karras, Blatty et Friedkin se buttent au studio qui préfère obtenir des vedettes. Persistants, ils tiennent à Ellen Burstyn, connue pour de petits rôles à la télé. Malgré la réticence initiale du studio, on accepte finalement ce choix faute d’autre option. Pour le Père Karras, William Friedkin reçoit un appel de Jason Miller, un dramaturge et acteur peu connu qui fait sensation sur Broadway alors que sa pièce, That Championship Season, commence à connaître un énorme succès. Miller avait rencontré Friedkin après une prestation de sa pièce et celui-ci avait refilé l’acteur un exemplaire du roman de Blatty. Miller est convaincu qu’il est l’homme pour jouer Karras alors que, comme le personnage, il avait abandonné ses études pour la prêtrise à la suite d’une crise de foi. Malheureusement pour Miller, Friedkin lui annonce que le rôle a déjà été attribué, mais le comédien insiste pour faire un essai devant la caméra, ce que le cinéaste consent de lui offrir. Friedkin est séduit par la force tranquille qu’exhibe Miller et décide finalement de lui accorder le rôle. 

Friedkin est séduit par la force tranquille qu’exhibe Miller et décide finalement de lui accorder le rôle.

Enfin, pour le rôle du vénérable prêtre Lankester Merrin, la Warner aimerait bien Marlon Brando, ce que Blatty et Friedkin rejettent avec empressement, soucieux que l’acteur vienne prendre toute la place médiatique. Friedkin offre plutôt le rôle à Max von Sydow, l’acteur fétiche d’Ingmar Bergman. Vu l’incroyable boulot fait par l’équipe de maquillage, il est difficile de croire que l’acteur n’avait que 43 ans! 

Le tournage débute en août 1972 dans des conditions épouvantables pour l’équipe qui surnomme le réalisateur « Wacky Willy » ou « Willy le fou braque ». Méticuleux, il n’est pas rare que Friedkin reprenne parfois à nouveau des séquences déjà filmées plus tard au cours de la production. Surtout, il ne se gêne pas d’employer des tactiques chocs afin d’obtenir les réactions nécessaires de ses comédiens. Sur ce chapitre, Jason Miller fait souvent les frais du cinéaste. Pour la scène du vomi qui rejaillit sur lui, Friedkin assure l’acteur qu’il ne le recevra que sur sa poitrine tel que répété. Mais, pour la prise actuelle, il lui envoie en pleine figure sans l’avertir. À l’écran, on voit donc sa réelle réaction de dégoût! Un autre moment, le réalisateur tire tout près de l’acteur un coup de révolver chargé d’une balle à blanc afin de créer une réaction de stupeur. On dit aussi que Friedkin a giflé le Père William O’Malley, un vrai prêtre et connaissance de Blatty, qui incarne le Père Dyer, lors de la scène finale avec le Père Karras mourant. Le geste aurait indigné les membres croyants de l’équipe technique. 

Dans le roman, la partie de l’exorcisme est dépeinte qu’elle se déroule dans des températures froides. Ne reculant devant aucun obstacle, Friedkin fait construire un plateau réfrigéré à -29 °C afin de voir l’haleine frigorifiée de ses comédiens. Afin de rendre crédible la transformation de Regan sous l’effet du démon, plusieurs trucages physiques ont été évidemment utilisés. C’était bien avant l’ère du numérique! Pourtant, avec tout ce que l’on peut accomplir aujourd’hui, elles demeurent encore très terrifiantes. 

La scène de la tête qui fait une rotation sur elle-même n’était ni dans le roman, ni dans le scénario. C’est un ajout de Friedkin afin de provoquer une réaction de plus auprès du public après la scène du crucifix. Un mannequin a donc été fabriqué. Il semblait si réaliste qu’il a même rendu mal à l’aise Linda Blair! Cette dernière a aussi été doublée en partie par une comédienne un peu plus vieille, Eileen Dietz, qui a filmé une portion de la scène de la masturbation avec le crucifix. Elle a également prêté ses traits au visage du démon Pazuzu que l’on peut apercevoir de manière quasi subliminale à quelques reprises. 

Enfin, des tests ont été effectués afin de changer électroniquement la voix de Blair, mais les résultats n’étaient pas très concluants. On a donc engagé une actrice plus âgée, Mercedes McCambridge, une fumeuse compulsive à la voix râpeuse. Avant de faire une prise, elle grillait une cigarette et buvait un verre de whisky, le tout attachée à une chaise! Le tournage de l’entière partie de la possession et de l’exorcisme, capté en ordre chronologique, a nécessité un mois de travail. Refusant tout compromis de la part du réalisateur, le budget initial du film de 4,2 millions $ a presque triplé, se chiffrant finalement à 12 millions $. 

La sortie limitée du film en salle a en sûrement joué en sa faveur. Rapidement, le bouche à oreille se propage et le public n’hésite pas à faire la file pendant de longues heures afin de le voir. À Montréal, lors de la première journée de présentation, la queue débute dès 4 h du matin alors que cinéphiles et curieux veulent être parmi les premiers à témoigner de ce nouveau film choc. Rapidement, le studio réussit à l’offrir sur plus de 300 écrans. Le film devient un véritable phénomène médiatique alors que les émissions de nouvelles diffusent multiples reportages, dont les réactions du public. 

Épris d’une certaine hystérie, jamais revue depuis, les gens crient et sortent même des salles de cinéma. Certains vomissent et perdent même connaissance. Puis, les légendes urbaines commencent à circuler, comme celle d’une femme enceinte qui aurait subi une fausse couche pendant la projection! En tout cas, des cinémas prévoient le coup alors qu’on fait appel à des ambulances à se tenir prêtes à répondre rapidement en cas de malaises. 

Officiellement, l’Église catholique américaine condamne publiquement le film, contribuant évidemment à son succès

Si on bannit une œuvre controversée, c’est certain qu’elle attisera encore plus la curiosité du grand public. Mais, officieusement, l’Église est ravie de l’intérêt médiatique et du public que le film porte envers elle alors qu’elle connaît un regain d’affluence dans ses établissements. Comme dit l’adage : « Parlez-en en bien, parlez-en mal, mais parlez-en! » Toutes ces controverses, dont certaines mauvaises langues soupçonnent la Warner d’être derrière plusieurs, finissent par profiter tant au studio qu’à l’Église. 

À l’étranger, The Exorciste suscite le même engouement et pareilles controverses. Le film sera même banni dans certaines régions catholiques de la Grande-Bretagne. Après une sortie vidéo en 1981 dans le pays, les copies seront retirées du marché en 1988 avant d’être de nouveau permises en… 1999! 

Avec des recettes de 112 millions $ incluant le box-office international, The Exorciste devient à cette époque le film le plus profitable de l’histoire de la Warner. Avec les sorties subséquentes, ce montant atteint aujourd’hui 230 millions $, soit l’équivalent de 1 milliard $ aujourd’hui, plaçant le film au neuvième rang des films ayant accumulé le plus de recettes. Chose certaine, voir The Exorciste est rapidement devenu une expérience collective qu’on ne devait pas rater, comme le seront Jaws et Star Wars quelques années plus tard. Pour plusieurs, le film demeure l’un des plus terrifiants jamais expérimenté et, pour certains ados, son visionnement devient un rite. Cinquante ans plus tard, The Exorciste et les films de possession fascinent toujours. Et ils le seront probablement encore longtemps, puisqu’ils font appel à une partie viscérale de l’humain : celle de la croyance. 

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