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Comment Luka Rocco Magnota est devenu le « Dépeceur de Montréal »

Chroniqueur Jean-François Cyr
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Luka Rocco Magnotta, condamné par la justice pour avoir tué et découpé son amant d’un soir avant de se servir de son bras amputé pour se masturber et de commettre des actes associés au cannibalisme, a marqué l’imaginaire des gens du monde entier. Souffrant visiblement de troubles mentaux considérables, il ne distinguait pas le bien du mal au moment de commettre l’irréparable, selon ce qu’il a affirmé après son arrestation dans un café de Berlin. Même pour lui, le fil des événements qui ont mené à cet assassinat sordide n’a pas été simple à reconstituer. En fait, comment s’est préparée cette abominable agression survenue le 25 mai 2012, à Montréal? SUMMUM vous propose de remonter le temps afin d’éclaircir les faits qui ont mené au meurtre de la victime Jun Lin.

Une enfance moche

L’enfance du « Dépeceur de Montréal » n’a pas été douce. Pour la plupart des experts en psychologie qui se sont penchés sur l’histoire de Magnotta, l’analyse de son passé était nécessaire pour comprendre comment il en est arrivé à de tels actes à l’endroit de cet homme originaire de Chine, Jun Lin.

De son vrai nom Eric Clinton Kirk Newman – son père aimait les acteurs Clint Eastwood et Kirk Douglas! –, Luka Magnotta a dû, comme il le pouvait, s’adapter aux problèmes de dépendance à l’alcool de ses parents et aux maltraitances physiques de sa mère et de sa grand-mère. Ajoutons à ça que sa maman avait une phobie des microbes. Cette peur est tellement grande que ses trois enfants ont fait la classe à la maison durant plusieurs années. En effet, Luka Magnotta a été scolarisé à domicile, tout comme son frère et sa sœur. Mais, la mère n’a pas fait un très bon travail, selon ce qu’a affirmé le père lors d’un interrogatoire mené durant le médiatisé procès de Magnotta en 2014.

Lorsque Luka Magnotta a intégré l’école en sixième année, le jeune garçon s’est retrouvé isolé. Timide, chétif, efféminé et « différent » aux yeux des autres camarades, il a rapidement été pris pour cible par certains d’entre eux. L’isolement était pratiquement inévitable. Anormalement solitaire, Magnotta s’est réfugié dans un univers que personne ne pouvait comprendre autour de lui. À l’adolescence, il a commencé à entendre des voix intérieures qui le dénigraient : Magnotta était laid et stupide. Il a d’ailleurs été hospitalisé plusieurs fois pour troubles psychiatriques et est demeuré pendant un certain temps, en 2001, dans un lieu pour schizophrènes. Il était considéré comme inapte au travail et recevait de l’aide sociale bonifiée pour cette raison, soit 900 $ par mois.

Sexe, drogue et Magnotta

En 2006, il a décidé de changer de nom. Pour Luka Rocco Magnotta, Eric Clinton Kirk Newman n’existait plus. Lentement mais sûrement, il a ensuite dérivé dans la drogue. Au début de sa vingtaine, il a même commencé à travailler dans l’industrie du sexe. Il s’est d’abord initié à la danse nue. Plus tard, il est devenu escorte masculine. Il voyagera à différents endroits dans le monde, parfois avec des clients. Son travail le forcera parfois à accompagner des clients dans divers endroits du monde. Notons qu’il a aussi eu quelques rôles dans des films pornographiques homosexuels. Durant cette période, il a d’ailleurs fait une étrange glorification de sa vie de travailleur sexuel sur des sites web spécialisés, ce qui n’arrangera pas les choses à long terme.

Autre fait à noter, les voix n’ont pas disparu. Elles lui donnaient même la frousse, à l’occasion. Pour cette raison, il a déménagé souvent de résidence tout en changeant aussi de numéro de téléphone. Çà et là, Magnotta se sentait souvent épié, suivi et menacé. Il a fait de nombreuses plaintes à la police. Bref, il a changé trois fois d’appartement en un an. En février 2011, il est venu s’établir à Montréal pour fuir Toronto. Ce déménagement était motivé par la crainte que des gens « lui mettent finalement la main dessus ».

 

Au printemps 2012, il a emménagé dans un petit appartement, situé sur le boulevard Décarie. Selon les dires de Luka Magnotta lorsqu’interrogé par des procureurs et d’autres experts en santé mentale, il n’allait pas bien. Il a même affirmé qu’il était « son pire ennemi» ». Son seul refuge de tranquillité : son grand intérêt pour Michael Jackson et sa passion pour l’actrice Sharon Stone, qu’il vénère notamment pour son rôle dans le film Basic Instinct (1992).

Rencontre avec Jun Lin

En mai 2012, Magnotta a placé une annonce sur le site web Craigslist, en indiquant qu’il voulait une activité sexuelle impliquant le bondage. Un étudiant chinois de 33 ans nommé Jun Lin, qui fréquentait l’Université Concordia, lui a répondu. Ils ont fixé un rendez-vous au métro Snowdon, puis sont allés chez Magnotta. C’était le 24 mai en soirée. Dans l’appartement, ils ont discuté. Jun Lin a bu du vin, puis ils ont eu une relation sexuelle. Lorsque la police et les avocats reconstitueront les faits en vue du procès deux ans plus tard, ils ont appris que Magnotta a été attaché en premier.

Celui-ci a affirmé que Jun Lin s’est montré rude pendant l’acte sexuel. il l’a notamment frappé à la tête. Malgré les demandes de Magnotta, Jun Lin ne voulait pas diminuer ses ardeurs ou tout simplement arrêter. Au terme de la relation, l’anxiété s’est emparée de Magnotta. Il a pris un somnifère et Jun Lin lui en a demandé aussi. Magnotta s’est ensuite rendu à la fenêtre. Dehors, il a aperçu une voiture noire. Soudain, il s’est mis à penser que cet amant éphémère était en réalité un agent du gouvernement… Peu de temps après, il attachait Jun Lin durant une nouvelle étape du jeu sexuel. Mais cette fois, les voix ont envahi l’esprit de Magnotta. Il s’est mis à croire que Jun Lin lui voulait du mal… Magnotta a tranché la gorge de Jun Lin, qui était ligoté sur le lit. Ce qui suit est complètement délirant.

Le démembrement et les envois portaux

Magnotta lui a ensuite coupé la tête et les membres, toujours dans une impulsion incontrôlable. Quelque part durant cette nuit, il s’est convaincu qu’il devait retourner ce corps d’où il venait, c’est-à-dire au « gouvernement ». Il a disposé la tête de Jun Lin dans le réfrigérateur, de peur d’être affecté par des messages que Jun Lin pourrait lui transmettre! Il y a aussi placé les mains, de crainte qu’elles lui donnent des microbes. Il a ensuite acheté une valise pour mettre le tronc du corps. Puis, il s’est rendu compte que c’était « trop gros pour l’envoyer au gouvernement ».

Voici ce qu’on peut lire dans un article de La Presse, publié en novembre 2014 : « Il a donc décidé de poster les pieds et les mains, après les avoir emballés dans du papier cadeau et des boîtes achetées exprès au bureau de poste. Il a trouvé les adresses sur l’Internet. Il a envoyé un pied au Parti conservateur du Canada, une main au Parti libéral. Il a fait la même chose avec deux écoles de Vancouver. Il ignore pourquoi. Il a vidé son appartement et tout jeté aux ordures, incluant la valise contenant le torse et les sacs renfermant les membres. Il a apporté la tête de Jun Lin au parc Angrignon et a commencé à faire une petite cérémonie funéraire pour que son âme repose en paix. Mais il a dû arrêter parce que des gens arrivaient. Il pense qu’il est resté 36 heures sans dormir, entre le 24 et le 26 mai au soir, moment de son départ pour la France. Il croit qu’il ne s’est pas lavé, mais pense avoir mangé une pizza. »

Mentionnons qu’il a tourné une vidéo du démembrement et l’a par la suite publiée sur Internet. Il a appelé la vidéo 1Lunatic, 1ice-pik. A-t-il consciemment emprunté des idées du film Basic Instinct ? Rien n’est certain.

Cette reconstitution des faits du démembrement de Jun Lin a été recueillie en bonne partie par la psychiatre Marie-Frédérique Allard, en 2014, dans le cadre de leurs rencontres visant à évaluer la responsabilité criminelle de Luka Magnotta à propos du meurtre de Jun Lin et des autres crimes qui y étaient rattachés. Au terme de cette évaluation demandée par la défense de Magnotta, et qui s’est échelonnée sur plusieurs mois, la psychiatre a produit un rapport de 127 pages qui a été remis au jury.

Le 29 mai, le siège du Parti conservateur à Ottawa, qui était alors au pouvoir au gouvernement canadien, a reçu un colis contenant un pied en état de décomposition. Le lendemain, les services postaux interceptaient de leur côté un funèbre paquet contenant une main, destiné au quartier général du Parti libéral. Début juin 2012, deux autres membres inférieurs et supérieurs avaient été envoyés dans deux écoles de Vancouver. La tête avait finalement été retrouvée en juillet dans un parc montréalais, près d’un étang.

L’Europe

Luka Rocco Magnotta s’est envolé pour Paris au lendemain du meurtre, commis dans la nuit du 24 au 25 mai. Pourquoi la France? Possiblement en raison de messages échangés antérieurement entre Magnotta et un homme vivant dans ce pays. Par l’entremise d’un site web de rencontres gai, il a commencé à correspondre avec cette personne prénommée Chris. Depuis quelque temps, Magnotta projetait d’aller s’établir en France, peut-être même avec cet homme, pour commencer une nouvelle vie. Il prévoyait partir le 1er juin. Finalement, son départ a été précipité…

À la découverte de la vidéo du démembrement diffusée par Magnotta, les agents du Service de police de la Ville de Montréal se sont lancés dans une chasse à l’homme internationale sans précédent. Elle a notamment diffusé la photo et la fiche signalétique de Magnotta dans les 190 pays membres d’Interpol, en quatre langues (français, anglais, espagnol et arabe), dès le 31 mai.

Magnotta est quant à lui arrivé à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle le samedi 26 mai en provenance de Montréal. Des clichés se trouvant sur la page des personnes recherchées d’Interpol montrent un homme vêtu d’un chandail Mickey Mouse qui se soumet aux vérifications de sécurité à l’aéroport. Magnotta a d’abord été hébergé chez un homme à Clichy-la-Garenne, en banlieue de Paris… Rapidement, la police française s’est lancée sur la piste du Canadien le plus recherché de l’époque. Malgré cette traque des autorités françaises, Magnotta a réussi à gagner l’Allemagne par autocar.

Cela dit, il a facilité la tâche des policiers en laissant un peu partout des traces de ses déplacements de Montréal jusqu’à l’Allemagne. Qui plus est, le « Dépeceur de Montréal », comme certains médias l’avaient alors baptisé, recherchait des informations à son propre sujet sur Internet. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’est fait prendre par des agents dans un cybercafé du sud de Berlin. Le gérant de l’établissement, Kadir Anlayisli, avait reconnu le fugitif. Il était donc sorti discrètement à l’extérieur du commerce afin d’alerter les premiers patrouilleurs rencontrés dans la rue.

4 juin

Magnotta, souvent présenté comme un psychotique et sociopathe narcissique, qui a filmé et mis en ligne ses actes d’une effroyable barbarie, en plus d’alimenter les réseaux sociaux de photos de sa personne au fil des ans, a finalement été arrêté le 4 juin. Il a ensuite été extradé dans un avion gouvernemental de l’Allemagne vers le Canada. Toute l’opération a coûté environ 375 000 $, selon des calculs de La Presse canadienne.

Lors d’un procès devant jury, qui a commencé au Palais de justice de Montréal le 29 septembre 2014, Luka Magnotta a été condamné à la prison à vie pour le meurtre prémédité de Jun Lin, le 23 décembre de la même année. L’homme de 32 ans, qui était aussi accusé d’outrage à un cadavre, de production et de distribution de matériel obscène, d’utilisation de la poste pour envoyer du matériel obscène et de harcèlement criminel envers le premier ministre Stephen Harper et d’autres membres du Parlement, a été reconnu coupable de tous les chefs d’accusation et a reçu les peines maximales pour chacune d’entre elles.

À l’été 2021, Luka Rocco Magnotta est toujours incarcéré en prison, où il s’est marié en 2017, avec un codétenu.

Quant à Jun Lin, il était un ressortissant chinois originaire de la ville de Wuhan, qui se trouvait au Québec depuis juillet 2011.

 

Don't fuck with cats

Devenu un sujet d’actualité de pratiquement tous les médias de masse du monde entier, Magnotta a aussi servi d’inspiration pour une série documentaire intitulée Don’t fuck with cats, diffusée sur Netflix à compter de décembre 2019.

Le titre a été inspiré de la torture que Luka Rocco Magnotta infligeait à des chats. Il captait ses actes pour ensuite les diffuser sur Internet. Des publications extrêmement violentes avaient d’ailleurs attiré l’attention de nombreux internautes et militants pour la protection des animaux.

Déterminés à faire payer cet individu, certains d’entre eux ont fini par retrouver la trace de Magnotta et ont même collaboré avec la police pour tenter de le faire arrêter, bien avant son passage à l’acte sur Jun Lin. Longtemps avant le meurtre, Magnotta s’était donc fait remarquer en tentant de se créer une notoriété sur le Web. Son concept : produire des vidéos de tortures de chats.

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