fbpx
Archive

Les comédies britanniques

Rédacteur en chef Jean-Sébastien Doré
Partager

On le reconnait à son aspect résolument sombre, sorte de révérence stoïque face à l’adversité, de soupir amusé, yeux rivés sur la mort ou autres tragédies inévitables, mais aussi à son sens de l’absurde, de la démesure. Du raisonnement à rebours, totalement confus et inextricable. Du non-sens, bref, pas de quoi en faire des phrases de cinquante pieds de long. On le reconnait, donc, et on le nomme, si possible : l’humour britannique.

L’image est bien précise : un aristocrate moustachu, redingote soudée au corps et pipe à la bouche, plein de flegme, livrant d’un air désintéressé des perles d’autodérision. Cette posture d’éternels musiciens sur le pont d’un Titanic se déchirant pour rejoindre les profondeurs, sourire en coin – les musiciens, pas le bateau. De Jonathan Swift à Edgar Wright, en passant par Lewis Carroll et Monty Python, les pragmatiques sujets de la Couronne britannique – hé, comme nous! – savent rire de tout et de tous. Ce trait, né de leur insularité et d’une sensibilité historique bien à eux au décorum et à une certaine hiérarchie sociale, fait toujours partie de leurs principales exportations de par le monde, avec les Beatles, le complet en tweed brun et la tartinade Marmite.

Des Ealing Studios au cirque volant de l’oncle Monty

Des comédies ont été réalisées en Angleterre depuis les tout débuts de l’histoire du cinéma, des films muets, bien sûr, jusqu’à la fin de la décennie 1920. La part de marché des films britanniques perdant de plus en plus de terrain face au géant américain, leurs comédies offrent peu d’éléments représentatifs de leur sens de l’humour particulier et sont produites en quantité de plus en plus réduite. L’arrivée du cinéma parlant change quelque peu la donne : comme un peu partout ailleurs dans le monde, l’Angleterre peut maintenant adapter à l’écran des pièces de théâtre et autres numéros burlesques qui ont déjà fait leurs preuves sur scène. Les vedettes du music-hall prennent par la suite d’assaut la production cinématographique britannique, faisant au passage du comique Will Hay et du comédien joueur de ukulélé George Formby, des visages reconnaissables de tous au cours des années 40.

Les « comédies Ealing », corpus d’une vingtaine de longs-métrages mis en scène dans les studios du même nom entre 1947 et 1957, vont totalement changer le monde du rire anglais au cinéma en offrant des œuvres plus riches, souvent des critiques sociales grinçantes, interprétées par des acteurs et des actrices de talent (notons Alec Guinness, David Niven, Stanley Holloway). L’humour britannique tel que nous l’imaginons fréquemment s’y montre de plus sous un jour moins édulcoré : on se moque allègrement de l’aristocratie, des bien nantis, de la pauvreté, des petits bandits sans talent, de vieilles conventions sociales prenant tranquillement la poussière. Les deux plus grands succès Ealing sont Kind Hearts and Coronets et The Ladykillers, tous deux avec Guinness.

L’humour change au fil de la décennie 1950, alors qu’une nouvelle génération de comiques est attentive devant l’imposant radio du salon familial pour entendre les géniales et décalées facéties de l’équipe du Goon Show (Spike Milligan, qui écrit tous les textes, Peter Sellers, Harry Secombe et Michael Bentine en début de parcours). Les futurs Monty Python, Beyond the Fringe (troupe dont firent partie Peter Cook et Dudley Moore), voire les Beatles, sont à l’écoute. L’absurde de ces nouveaux créateurs fera des siennes autant au cinéma qu’à la télévision, qui s’est imposée depuis quelques années. Monty Python’s Fying Circus débute sur les ondes de la BBC en 1969, créant une véritable onde de choc qui se fera ressentir chez plus d’une génération d’humoristes, avec dans son sillage les classiques Fawlty Towers (du Python John Cleese) et Blackadder (dont le personnage principal est interprété par Rowan Atkinson, qui reviendra plus tard avec Mr Bean).

Des années Thatcher à aujourd’hui

Monty Python finance de peine et de misère son légendaire Monty Python and the Holy Grail en 1975 – l’anecdote veut que les membres de Pink Floyd et de Led Zeppelin aient contribué à sa réalisation -, puis frappe un sérieux mur pour son projet suivant, plus controversé, Life of Brian. Le rapprochement fait entre le personnage principal et le Christ décourage les grands studios d’avancer des fonds. Qu’à cela ne tienne, l’ancien Beatle, George Harrison, veut le voir ce foutu film, et crée donc une compagnie de production afin d’aider ses amis. HandMade Films verra, au cours des années 1980, la création de nombreuses comédies à succès comme A Private Function ou le récit alcoolisé culte Withnail and I.

La grisaille des années Thatcher sert de terreau très fertile à des réalisateurs britanniques qui connaîtront la consécration internationale avec leurs comédies dures et grinçantes, dont le rire fait écho au désespoir de la rue et des quartiers déshérités, loin de l’absurde « pythonien » et des blagues de mononcle cochon de Benny Hill. Mike Leigh est l’un d’eux. Ses films Naked et Secrets & Lies marqueront les esprits. Des comédies à succès comme The Full Monty, Trainspotting et Snatch – des films où l’accent n’est pas que sur le comique, on s’entend -, s’enchaînent au cours des années suivantes. Leur humour est noir et fait peu de cas des âmes sensibles.

Des créateurs comme Ricky Gervais, qui se fera connaître de tous avec The Office, puis avec de nombreux films et séries, Sacha Baron Cohen (Borat, Da Ali G Show), ou le duo Edgar Wright et Simon Pegg (Shaun of the Dead, Hot Fuzz, The World’s End) portent entre autres le flambeau de l’humour anglais bien décalé depuis environ 20 ans. D’un côté, des vétérans comme Rowan Atkinson – avec Bean ou Johnny English – reviennent ponctuellement en salle, d’un autre, des (relatifs) nouveaux noms comme Richard Ayoade ou Armando Iannucci ont offert de belles et amusantes propositions au cours des dernières années (Submarine et The Death of Stalin, respectivement). Vivement un peu d’absurdité pour nous faire rire, prochainement, des années Cameron, du Brexit, de Boris Johnson…

Suggestions

Voici quelques suggestions de films à visionner s’il fait un temps gris, pluvieux et déprimant à l’extérieur. Un temps britannique, quoi. On se verse un petit thé ou une bonne bière et on rigole.

The Ladykillers (1955)

Probablement le film le plus connu aujourd’hui de la grande aventure des studios Ealing, grâce entre autres à l’adaptation qu’en ont fait en 2004 les frères Coen. Alec « Obi-Wan » Guinness s’y trouve à la tête d’une bande de joyeux bandits organisant un coup qui ne peut échouer, avec, ou malgré, Mrs Wilberforce, une vieille veuve excentrique, ou Peter Sellers, dans un de ses premiers rôles au cinéma.

The Bed Sitting Room (1969)

Richard Lester, Américain qui porta deux fois les Beatles à l’écran en plus de gagner la Palme d’or pour The Knack… and How to Get It en 1965, met en scène une Londres quelques années après une guerre nucléaire. Sorti de la tête d’un Spike Milligan décalé comme toujours, le film propose une distribution regroupant tous les grands comiques de l’époque : Peter Cook, Dudley Moore, Marty Feldman, en plus de Milligan et de son complice des Goons, Harry Secombe.

Monty Python and the Holy Grail (1975)

Le débat est éternel parmi les fanatiques des légendaires Monty Python : quel est leur meilleur long-métrage? Life of Brian ou Holy Grail? Les deux options se défendent parfaitement, mais la recherche déjantée du Saint Graal d’Arthur et de son freak show de la Table ronde offre de nombreux gags d’anthologie : les chevaliers qui disent Ni!, le lapin tueur… Your mother was a hamster and your father smelt of elderberries.

Sir Henry at Rawlinson End (1980)

On pouvait reprocher bien des choses à l’éclectique Vivian Stanshall, l’auteur de Sir Henry, mais certainement pas son gros bon sens – avant que la chose devienne notre devise nationale. Le film, entièrement filmé en sépia et présentant Henry et son entourage absurde jusqu’à en être incompréhensible, devint rapidement culte auprès des amateurs du Bonzo Dog Doo-Dah Band. Dont nous sommes tous, oui?

Withnail and I (1987)

Les comédiens en début de carrière et prompts à des cuites relevant de l’appel à l’aide qui se trouvent parmi notre lectorat se reconnaîtront devant ce classique de Bruce Robinson produit par HandMade Films (boîte de George Harrison). Jugeant son talent injustement ignoré, Withnail, interprété par un Richard E. Grant survolté, boit du gaz à briquet pour un peu de réconfort, avant de s’accorder des petites vacances à la maison de campagne de l’oncle Monty, gros bourgeois aux mains baladeuses.

Naked (1993)

Prix de la mise en scène à Cannes en 1993 – en plus de Prix d’interprétation masculine pour David Thewlis dans le rôle de Johnny, un intellectuel bavard et amateur de théories du complot – cette comédie dure et violente de Mike Leigh secoue plutôt qu’elle n’amuse, en proposant un regard franc et acide sur l’Angleterre de l’époque.

The Full Monty (1997)

Un groupe de chômeurs décident de former une troupe de danseurs nus afin de renflouer les coffres et de permettre à l’un d’eux de revoir son fils. Grand succès populaire à sa sortie en 1997, le film aborde tout de même, sous le couvert léger et foufounesque de sa prémisse, des sujets sérieux comme la dépression, les conditions ouvrières, le rapport à l’image.

Shaun of the Dead (2004)

Premier volet de la trilogie Three Flavours Cornetto de l’auteur et réalisateur Edgar Wright avec son coauteur Simon Pegg – qui joue le rôle-titre -, trilogie regroupant des comédies de styles bien différents, Shaun of the Dead est, en fait, une comédie romantique de zombies. Notre vendeur d’électronique loser intérieur ne rêve-t-il pas souvent de vivre les aventures cultes de Shaun par soir de désamour?

Submarine (2010)

Premier film du réalisateur Richard Ayoade, Submarine met en scène Oliver Tate, un adolescent timide et peu populaire, en amour avec une collègue de classe. La relation qu’il noue avec elle, avec en parallèle sa vie familiale tumultueuse et quelque peu grotesque, est abordée sur un ton doux-amer qui fait sourire à de nombreuses reprises. Pour les doux.

The Death of Stalin (2018)

Joseph Staline meurt d’un malaise cardiaque en 1953, laissant la machine bien huilée du Parti communiste dans la déroute la plus totale. La hiérarchie du Parti et l’influence de chacun de ses personnages changent du jour au lendemain. Qui succédera à l’homme d’acier? Qui sera bêtement abattu derrière la grange avant de disparaître à jamais des photographies officielles? Popcorn!

Partager

Recommandés pour vous

PROCHAIN ARTICLE
Archive

Et si… le bogue de l’an 2000