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Mario Tessier

Rédacteur en chef Jean-Sébastien Doré
Photographe Julien Faugère
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Un Tessier sans artifices et sans faux-fuyants

Cinq ans après avoir lancé son premier one-man-show Seul comme un grand, Mario Tessier fait table rase de tout artifice de scène ou autre coquetterie de style pour son nouveau spectacle Transparent. Déterminé à offrir sans filtre au public ce qu’il pense et ce qui le dérange, l’ancien des Grandes Gueules s’est dépouillé de cette retenue imposée par l’époque pour parler vrai pendant 90 minutes, de tout, mais surtout de lui. Entretien avec un artiste déterminé à être honnête tout en proposant un humour moderne. Et drôle.

Es-tu un taiseux dans la vie de tous les jours ou bien vis-tu une relation ambigüe avec les normes ambiantes? En fait, je me dis surtout « on peut-tu dire les vraies affaires? », tu comprends? En vieillissant, je pense qu’on tend tous vers ça. Non, socialement, je fonctionne bien, mais il y a des trucs qui me fatiguent, il faut faire attention à tout maintenant, à tout ce qu’on dit. On dit que la liberté d’expression, c’est donc important, mais il me semble que c’est une des rares fois depuis que je fais ce métier-là où je remarque qu’on ne peut plus dire grand-chose. Maintenant, tout est scruté, tout est analysé, tout est interprété. Avec les réseaux sociaux, c’est malade. Tout prend des proportions, tu sais… Même un gag anodin va offusquer du monde. Sur scène, et je l’ai mentionné dans une entrevue que j’ai faite en fin de semaine [N.D.L.R. : l’entrevue a eu lieu le 4 novembre], je trouve qu’on est vraiment libre. C’est ton show, les gens ont choisi de venir te voir. C’est comme si tu venais souper chez nous, je vais toujours bien décider de ce que je vais te faire à manger. Alors qu’ailleurs, il faut faire des compromis, sur scène, j’essaie de ne pas en faire, j’essaie d’être conséquent avec ce que j’ai le goût de dire et de faire. C’est une des dernières places où on a une tribune pour être vraiment libre.

C’est ce constat-là qui, à l’origine, t’a amené vers l’humour? C’est sûr, oui. Mais la vraie raison qui m’a décidé à faire de l’humour à la base, c’est quelque chose d’égoïste, j’ai besoin de cette énergie-là du public. Je vais parler pour moi, mais je crois que c’est le cas pour plusieurs artistes : je suis une bibitte d’insécurités. Les gens ont parfois l’impression que je suis un gars vraiment confiant, il y en a même qui pensent que je suis au-dessus de mes affaires. Crisse, il ne faut vraiment pas me connaître pour penser ça! Je suis le gars le plus insécure au monde. J’aime faire rire les gens, parce que de leur faire du bien, ça me fait du bien à moi. Pendant 90 minutes… Tu sais, des fois il y a des jours ou des semaines où tu feeles comme de la marde, tu te sens comme un père moyen, un chum moyen, et là… arrive un show, une dose d’amour pendant 90 minutes, et moi j’emmagasine cette énergie-là pour les moments où ça va moins bien. Il y a quelque chose de thérapeutique pour moi dans le fait de faire rire et de donner du plaisir aux gens. J’ai l’impression de danser un slow avec le public.

T’ennuyais-tu de la scène et – question classique – vivais-tu de la pression concernant ce nouveau spectacle, ton deuxième, à la suite du grand succès qu’a été le premier, Seul comme un grand? Il n’y a personne, en tout cas moi je n’en connais pas, qui prépare quelque chose en se disant « ouais, celui-là, je l’ai botché, je m’en vais me planter! ». J’ai donc travaillé super fort, je voulais faire une proposition totalement différente. J’étais très fier du premier spectacle, je trouvais que c’était un beau show. Il avait une approche plus théâtrale, c’était une ligne directrice qu’on avait choisie Serge Postigo et moi. Pour Transparent, on s’est dit que, tant qu’à en faire un nouveau, il fallait qu’il soit totalement différent. Je trouve que maintenant, la mode est au stand-up sans artifice. Tu regardes des « specials » sur Netflix, tu regardes des jeunes humoristes… Ça ressemble à ça, mais contrairement à du stand-up traditionnel, qui passe du coq à l’âne, où je ferais 2-3 jokes sur les arbres, puis je parlerais de politique, tout et n’importe quoi, le nouveau conserve la thématique de la transparence du début à la fin. Tout se tient dans le show.

On t’a connu à la radio, à la télé aussi. Quelle place a la scène dans ta carrière? Je pense que c’est ce dont j’ai le plus besoin. J’adore faire de la radio, j’en ai fait pendant 20 ans, j’en fais encore à l’occasion. Je suis un gars de radio, et j’ai aimé faire de la télé, mais si tu me demandes ce que ça me prend pour mon équilibre, pour ne pas virer fou là… (Rires) C’est faire des shows. Même pas nécessairement faire des grosses salles. Pour moi, faire des petites salles de 150 personnes, c’est plus le fun que de faire des salles de 1 000 personnes. C’est vraiment la communion entre un public et un artiste sur scène, et le stand-up, c’est ce qui te ramène à la base de ce métier-là. Un gars. Un public. Je t’amène dans mon monde, j’essaie de te faire rire en t’amenant dans ma tête pendant 90 minutes. Il y a quelque chose de sale dans le stand-up, il ne faut pas que ce soit trop léché, sinon ce n’est pas le fun. Le stand-up, il faut que ça sente un peu le bar, les petites soirées d’humour, je pense. Le thème de la transparence fonctionnait bien avec ça : on a épuré, on a gardé la proposition dans la simplicité.

Crédit photo : Julien Faugère

Le stand-up est sans filet, c’est-à-dire qu’on peut se péter joyeusement la gueule, même si on est Mario Tessier, alors qu’à la télé, on peut se reprendre, la relation n’est pas directe entre l’artiste et le public. Oui, c’est sûr. Quand t’es en équipe – moi, j’avais travaillé à deux toute ma vie –, tu partages tes bons coups, mais tu partages aussi tes mauvais coups. Et là, quand tu es seul, si c’est bon, ça semble être ta faute, mais si c’est mauvais, c’est toute de ta faute! (Rires) J’essaie de ne pas trop penser à ça. Je l’ai fait avec mon cœur le nouveau show, mais à partir de maintenant, ça ne m’appartient plus. Oui, il y en a beaucoup de shows d’humour, mais j’ai du fun à faire le mien, je n’ai pas l’aspiration de voler la place à qui que ce soit, de battre des records. Ce n’est pas ça qui m’intéresse. Je monte sur scène parce que c’est un besoin, je ne pourrais vraiment pas m’en passer. Oui, ça vient avec une pression le deuxième spectacle, mais j’ai travaillé super fort et j’ai fait l’exercice de me promener partout au Québec, avec des jeunes humoristes dans des petites salles. Faire 45 minutes, payé en club sandwiches. Tu sais, le genre de place où tu te salis quand tu vas te changer! (Rires) J’aime ça, et j’aurais eu l’impression d’être un imposteur si je ne l’avais pas fait pour me préparer. Si tous les jeunes humoristes le font, si tu veux rester actuel et ne pas avoir l’air d’un mononcle qui raconte des jokes sur un stage, tu dois te mouler à la nouvelle réalité.

Quelques années après la fin des Grandes Gueules à la radio et sur scène, as-tu l’impression de toujours vivre dans l’ombre de cette association? Crois-tu être encore Mario Tessier des Grandes Gueules pour les gens? Ceux qui ont vu mon premier show ne m’en parlent plus. Ceux qui viennent me découvrir sur scène, souvent, ils ne savent pas trop ce qu’ils s’en viennent voir. Certains m’associent toujours à un style radiophonique avec José [Gaudet], on a fait deux shows, mais c’était de l’humour de duo qu’on faisait. On m’en parle toujours, et pour certaines personnes, je serai toujours le gars des Grandes Gueules et c’est correct. C’est même flatteur, à la limite, de se promener sur la rue et de se faire crier des lignes de tes personnages. Mais moi, mon but c’est de montrer que j’ai ma place sur scène. Comme je disais plus tôt, je ne veux pas la place de personne. Quelqu’un me demandait c’est quoi la place de Mario Tessier dans l’humour actuellement. Eh bien, ta réponse est dans ta question, Mario Tessier a la place de Mario Tessier, je veux juste faire ce que j’aime et faire embarquer le monde qui a le goût d’écouter ma proposition. Oui, donc, on va toujours m’en parler de ça, mais tant mieux, si c’est ça qui peut faire venir quelqu’un dans la salle pour découvrir ce que je fais, une fois devant moi, il va découvrir la personne que je suis pour vrai sur un stage. Et je pense être sur stage, dans le nouveau spectacle, comme je suis dans la vraie vie. Les soirs que je préfère, c’est ceux où je n’ai pas l’impression de jouer, mais plutôt de parler à une seule personne. À un chum. Pour rire du gag de quelqu’un, il faut connaître la personne. Il y a de l’abandon dans le rire, donc pour aimer l’humour de quelqu’un, il faut d’abord l’aimer. C’est pour ça qu’il y a autant d’humoristes et de styles, c’est parce qu’il y en a pour tous les goûts.

(Article publié dans l’édition #167 décembre/janvier 2020 – www.boutiquesummum.com)

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