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Films, sexe, voitures et tragédies : le ciné-parc en Amérique du Nord

Nicolas Lacroix
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 Quelle image vous vient en tête quand vous voyez le mot « ciné-parc »? Une façon archaïque de voir des films? Un souvenir de jeunesse, du premier film? Des ébats plus ou moins torrides d’ados en feu?

C’est le 6 juin 2023 que le ciné-parc a célébré officiellement ses 90 ans. Richard Hollingshead l’a ouvert au New Jersey, ce premier ciné-parc, supposément parce que sa mère ne pouvait plus s’asseoir confortablement dans un siège de salle de cinéma normal en raison de son tour de taille. Donc, le premier endroit pour aller voir un film en restant dans sa voiture a ouvert le 6 juin 1933, par souci de confort. Hollingshead, dont le père vendait des pièces pour les automobiles, avait déjà prévu une rampe pour incliner les véhicules vers l’écran. Le prix : 0,25 $ par voiture et par personne.

Le premier ciné-parc du Canada est arrivé le 10 juillet 1946 à Stoney Creek, en Ontario. L’écran était de 100’ x 50’ et le son provenait d’un système à l’extérieur de la voiture. 

Il va sans dire que l’avènement du ciné-parc est intimement lié au marché de l’automobile, qui prend son essor dans les années 20, puis dans les années 30, après la grande dépression, grâce à l’arrivée de la transmission automatique, notamment. 

L’écran moyen de l’âge d’or du ciné-parc (années 50 et 60) pouvait accueillir 1000 voitures. Dans les premières années, des employés guidaient les voitures à l’aide de lampes de poche rouges, un peu à la façon des employés d’aéroport. Les rangées devant l’écran comportaient un petit remblai, afin d’incliner la voiture légèrement vers le haut et de ne pas être caché par le véhicule devant nous, imitant le concept initial de l’inventeur.

Le défi audio

Un des défis du ciné-parc était la diffusion audio. Avec l’arrivée du cinéma parlant, la bande son d’un film prenait de plus en plus d’importance. Le ciné-parc de monsieur Hollingshead utilisait un système de trois haut-parleurs installés sous l’écran qui projetaient le son vers les voitures assez fort pour que ceux derrière entendent bien. Ça créa deux problèmes : le son très fort pour les voitures à l’avant, pour les voisins, pour les animaux, etc. et, surtout, une désynchronisation du son pour les voitures de derrière. 

On a fini par mettre au moins un système de haut-parleur individuel à accrocher à la fenêtre de la voiture avec un volume réglable individuellement. Le seul désavantage, outre la médiocrité du son, était le nombre de fois qu’un véhicule quittait en arrachant ledit haut-parleur! Il y avait même des messages diffusés dans les ciné-parcs demandant aux gens de rapporter les haut-parleurs arrachés au restaurant. 

Au début des années 70, la grande majorité des voitures vendues possédaient une radio d’auto et, donc, on a pu commencer à diffuser le son du film via les ondes de la radio AM. En 1986, la diffusion est devenue stéréo grâce à la bande FM, puis numérique en 1999.

La tragédie qui a retardé l’arrivée du ciné-parc au Québec


Malgré son arrive assez tôt en Amérique du Nord, il n’y a eu aucun ciné-parc au Québec avant… 1971! On explique ce sévère retard par une terrible tragédie qui a frappé un cinéma de Montréal le 9 janvier 1927. En ce dimanche après-midi d’hiver, presque 900 personnes, majoritairement des enfants, ont payé 0,10 $ pour assister à un film muet, une comédie mettant en vedette Stan Laurel (du duo comique Laurel & Hardy), intitulé Get ’Em Young, un titre qui deviendra tristement funeste. Au balcon du cinéma Laurier Palace, il y a tellement d’enfants que ceux qui ne trouvent pas de siège s’assoient dans les allées. Vers 13h30, un incendie lié à une cigarette mal éteinte se déclare à l’avant du cinéma.

Malheureusement, l’ouverture d’une des portes du hall d’entrée bloque la sortie de la cage d’escalier. Rapidement, les enfants paniqués sont empilés presque jusqu’au plafond dans la sortie du balcon. Lorsque les pompiers et policiers arrivent, il faut défoncer la cloison de l’escalier pour sortir les enfants, dont la majorité sont morts ou piétinés. On dénombrera 77 morts. Parmi les premiers répondants, certains pères reconnaissent leurs propres enfants dans les décombres.

Comme on fait presque toujours au Québec, on décide de réagir en créant une interdiction pour « protéger les enfants » à la suite de cette tragédie. Dès 1928, il est interdit, au Québec, pour les enfants de moins de 16 ans, de se retrouver dans une salle de cinéma. Il en sera ainsi pendant…. 40 ans! Il leur était déjà interdit d’y être sans être accompagnés d’un adulte, le cinéma Laurier Palace étant donc sévèrement en infraction au moment du drame. Le clergé réclamait la fermeture de tous les cinémas de la province le dimanche, ce qui n’a pas été adopté.

Le premier ministre Maurice Duplessis lui-même s’est opposé à l’implantation des ciné-parcs dans la province jusqu’à la fin de son mandat, en 1959. Quelques années après la levée de la loi interdisant les enfants, les premiers ciné-parcs ont finalement ouvert au Québec, souvent en français. Ils ont vite connu un achalandage monstre jusqu’au milieu des années 80. 

Le ciné-parc à l’image de l’Amérique du Nord

L’invention de l’automobile a évidemment complètement transformé le monde et c’est particulièrement le cas pour la contrée qui l’a inventé, l’Amérique du Nord, avec ses grandes étendues territoriales et son Histoire relativement jeune.

Le ciné-parc a permis au public de s’affranchir de la façon de faire établie. La salle de cinéma traditionnelle était plutôt rigide : il ne fallait pas parler, il fallait bien se tenir, la largeur des sièges était déterminée. Dans sa voiture, le public pouvait soudainement manger, fumer, parler, s’enlacer et plus encore. On pouvait traîner son chien. L’espace personnel n’était limité que par la largeur de la banquette. C’était l’expérience de voir un film dans notre salon avant l’arrivée de la vidéo à domicile. On pouvait y aller en gang, s’éclater sans déranger, commenter le film et plus.

L’autre versant de la montagne

Les facteurs qui ont fait la popularité des ciné-parcs sont aussi ceux qui ont contribué à sa chute. Mentionnons, par exemple, l’exode des familles du centre-ville vers la banlieue. Si cet exode a fait croître le public des ciné-parcs, il a aussi fait gonfler le prix des terrains en banlieue. Pour plusieurs propriétaires de ciné-parcs, il est devenu plus rentable de vendre les terrains.

À ne pas négliger est aussi la décision d’avancer l’heure. Il y a même eu un mouvement encouragé par les ciné-parcs pour faire reculer… l’heure et le gouvernement! L’heure d’été faisait commencer les films vers 21 h 30 ou 22 h, soit beaucoup trop tard pour les petites familles.

La crise de l’essence des années 70 a également nui aux ciné-parcs. Il devenait trop coûteux comme sortie.

L’arrivée de la télévision, puis des magnétoscopes a aussi fait que le confort pour le divertissement ne se trouvait plus temps dans la voiture, devenue plus petite, mais dans le salon de ces banlieusards exilés. 

 

Le regain pandémique

Contre toute attente, un des rares effets bénéfiques de la pandémie a été le court mais significatif regain d’intérêt pour les ciné-parcs. Ceux-ci permettaient une sortie en toute distanciation et en tout respect des consignes gouvernementales. On s’est même mis à y présenter des spectacles musicaux! Pour les studios qui n’avaient pas d’endroit pour présenter leur produit parce que les salles étaient fermées, il s’agissait d’une rare option intéressante. 

Avec la fin de la pandémie, le regain est vite retombé cependant. 

Il reste actuellement un peu plus de 300 ciné-parcs actifs aux États-Unis, d’un sommet de 4000 dans les années 50. Au Canada, c’est moins d’une quarantaine d’établissements qui sont encore actifs, d’un sommet de 1500. Au Québec, il en reste quatre ou cinq encore actifs comparativement à un sommet de 44 en 1984.

Il en ouvre un, de temps à autre, comme le Boonies Drive In Theatre, qui a ouvert ses portes en 2015 à Tilbury, en Ontario. Mais jamais assez pour assurer sa pérennité. Le ciné-parc est un peu comme les pandas en captivité : ils ne se reproduisent tout simplement pas assez pour garantir leur survie. À moins que l’élan de nostalgie pour tout ce qui est années 80 au cinéma (Top Gun), à la télé (Stranger Things) et dans la musique relance le tout? 

Le ciné-parc a donc 90 ans et à 90 ans, eh bien, on est moins à la mode qu’on l’a déjà été. À 90 ans, on est pas mal plus proche de la fin que du début. 

SUGGESTIONS

Des films de gang et/ou qui représentent bien l’expérience ciné-parc.

GRINDHOUSE: PLANET TERROR

Le film de Rodriguez est bien meilleur que celui de Tarantino.

MACHETE/MACHETE KILLS

Adapté d’une fausse bande-annonce

HOBO WITH A SHOTGUN

Inspiré par Grindhouse

GAME NIGHT

Tordante comédie comme il ne s’en fait plus assez.

DRIVE-IN DISCS

Une collection de DVD avec films de série Z, dessins animés, pubs et messages de ciné-parc et plus. (Amazon)

SHARKNADO

Tout à fait dans l’esprit des films poches de ciné-parc

DRUNKEN MASTER 2

Un sommet de Jackie Chan

TREMORS

Là encore, parfait amalgame du genre de films présentés au ciné-parc

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