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FUKUSHIMA

Martin Bois
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Le pire désastre écologique jamais enregistré par l’homme

La catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi, survenue en 2011 à la suite d’un tremblement de terre sous-marin suivi d’un tsunami, surpasse de loin d’autres incidents du même type. Nous n’avons qu’à penser à celui de Three Mile Island (1979) ou celui de Chernobyl (1986), qui malgré des effets nocifs alarmants, n’arrivent pas à la cheville de ce qui s’est déroulé et se déroule encore actuellement sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima. Les taux de radiations relâchés dans l’océan Pacifique ainsi que dans l’atmosphère de la région atteignent des sommets qui donnent à penser que ce désastre écologique est le pire jamais enregistré de mémoire d’homme.

Une technologie à deux tranchants

Dans la foulée de l’engouement pour tout ce qui touchait à l’énergie atomique au début des années 1950, les mégaprojets de centrales nucléaires ont poussé comme des champignons dans la plupart des pays où les chantres de la reconstruction de l’après Deuxième Guerre mondiale en vantaient l’efficacité ainsi que la sécurité. La première de ces centrales fut mise en service le 27 juin 1954 à Obninsk en URSS. Le Royaume-Uni, les États-Unis et la France emboîtèrent le pas. Même le Japon, qui fut pourtant la seule nation à être victime de l’arme atomique, monte finalement de plain-pied à bord de ce train technologique à la fin des années 1960 avec la construction du Tsuruga-1. Le réacteur électronucléaire est raccordé au réseau électrique nippon en 1969, puis officiellement mis en service l’année suivante. Fukushima Daiichi-1 suivra en 1971. Le Japon construira par la suite 54 réacteurs répartis dans 18 centrales sur une période de 38 ans. Le dernier à entrer en fonction est le Tomari-3 (2009).

La sécurité de ces centrales, que les lobbyistes de l’époque s’évertuaient à mettre de l’avant, semblait évidente sur le papier ou dans un contexte théorique présenté de manière alléchante, mais celle-ci s’est finalement avérée moins solide que ce qui avait été promis lorsqu’elle fut placée dans des conditions réelles face au caractère imprévisible de l’environnement terrestre. Les garanties qui étaient offertes reposaient sur cette propension erronée de l’homme qui le porte à croire qu’il domine les forces de la nature par la puissance de son intellect. Or, comme le stipule la loi de Murphy : « Si quelque chose peut aller mal, soyez assuré que cette chose ira obligatoirement mal… » et c’est exactement ce qui s’est produit à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi le 11 mars 2011.

Un survol des évènements

L’accident survenu à Fukushima est en fait le résultat d’une malencontreuse combinaison d’évènements. L’élément déclencheur est un séisme record de 9,0 sur l’échelle de Richter dans l’après-midi du 11 mars 2011 au large de l’île de Honshu. L’épicentre se trouvait à quelque 130 kilomètres à l’est de la ville de Sendai.

Au moment du séisme, trois des six réacteurs à eau bouillante (BWR) étaient inactifs. Les réacteurs 1, 2 et 3, quant à eux, fonctionnaient à plein régime. Par mesure de sécurité, une protection automatisée couplée à un détecteur séismique arrête la fission des atomes dans le cœur en insérant une série de barres qui captent les neutrons responsables des réactions en chaîne. Même si la fission est stoppée, la chaleur résiduelle provenant des atomes radioactifs doit continuer à être évacuée. Or, le tremblement de terre a détruit le réseau électrique; ce sont donc les moteurs diesel de secours qui prennent la relève pour maintenir le système de refroidissement en marche. Jusque-là, les mécanismes de sécurité fonctionnent, mais ce n’est qu’environ une heure plus tard que le scénario catastrophe se met en place.

À 10 kilomètres sous la surface de l’océan, la pression générée par le mouvement des plaques tectoniques provoque un déplacement d’eau qui prend un peu moins d’une heure pour atteindre le Japon et se transformer en tsunami de 14 mètres de haut une fois arrivé à proximité du littoral de Fukushima. La vague monstrueuse, qui s’enfonce d’une dizaine de kilomètres à l’intérieur des terres, balaie tout sur son passage et provoque la mort d’environ 20 000 personnes. L’eau passe par-dessus le mur de protection de la centrale qui, selon Tepco (propriétaire et exploitant de la centrale), est conçu pour arrêter des vagues d’une hauteur maximale de 5,7 mètres. Le tsunami déferle sur les installations et noie les moteurs diesel qui assuraient jusqu’alors l’évacuation de la chaleur résiduelle des réacteurs 1, 2 et 3. Les ouvriers tentent en vain de redémarrer les moteurs, mais ils doivent se rendre à l’évidence que la situation est désespérée.

Les réacteurs atomiques n’étant plus alimentés en eau de refroidissement, la température grimpe en flèche vers les 2300 degrés Celcius. Conséquemment, l’eau présente dans la cuve de confinement des barres de carburant s’évapore et expose le cœur. Privé de régulation thermique, le combustible entre en fusion. En effet, les barres de carburant nucléaire (oxyde d’uranium ou MOX) sont formées de plusieurs tiges comprenant un empilement de pastilles d’uranium gainées d’un alliage de zirconium. Même si les tiges de contrôle ont été insérées pour arrêter le processus de fission normal, la chaleur résiduelle générée par les atomes d’uranium en cours de désintégration n’est plus évacuée normalement et c’est alors une réaction de fusion qui prend le relais. Les pastilles et leur gaine protectrice fondent en se mélangeant aux matériaux de la structure pour former un magma appelé « corium ». Celui-ci tombe au fond de la cuve du réacteur, le perce sur une aire d’environ deux mètres de diamètre et va choir sur le béton de l’enceinte principale. Ce qu’il en advient appartient au domaine de la spéculation, mais les modèles théoriques prédisent que le corium s’est enfoncé quelque part dans la nappe phréatique et contamine actuellement l’océan Pacifique.

Tokyo Electrical Power Company (Tepco)

Avant d’être nationalisé par le gouvernement japonais en 2012 pour éviter sa faillite imminente à la suite de la catastrophe, Tepco, qui est propriétaire de plus de 190 installations de production d’énergie électrique dont trois centrales nucléaires, était et reste encore un géant mondial dans son domaine. Des accusations de dissimulation d’informations et de mise en danger de la sécurité de leurs employés au profit de l’équipement ne datent pourtant pas d’hier. Déjà, en 2002, il a été démontré que depuis le milieu des années 1970 Tepco a falsifié plus d’une trentaine de rapports d’inspection mettant en lumière des fissures et de la corrosion dans ses réacteurs. Des incidents graves, dont celui qui s’est produit en 1978 où une barre de combustible nucléaire est tombée au fond de l’enceinte du réacteur no 3 de Fukushima Daiichi provoquant une réaction en chaîne incontrôlée, ont été passés sous silence. En 2007, le scandale éclate lorsque le public apprend que ce sont en réalité 199 incidents qui ont été dissimulés.

Toujours en 2007, Tepco réalise une étude à l’interne sur les risques qui pourraient survenir en cas de tsunami de grande magnitude. Le rapport fait mention d’un risque de 10 % sur une période de 50 ans. La haute direction néglige ces conclusions en prétextant que les données ne font pas l’unanimité dans la communauté scientifique. Au cours de la même année, un comité d’experts est mis sur pied pour revoir les normes de sécurité des installations nucléaires en cas de séisme. Mécontent des faibles mesures préventives adoptées, le très respecté sismologue Katsuhiko Ishibashi démissionne.

Effets sur la population

La radiation ponctuelle se mesure en millisievert (mSv). Selon le UNSCEAR (United Nations Scientific Commitee on the Effects of Atomic Radiations), les doses s’échelonnent ainsi :

En 2012, sur le site de Fukushima Daiichi, la radioactivité mesurée se situait aux environs de 73 Sv à l’heure. Des pointes hallucinantes de 530 Sv ont été enregistrées en 2013 dans le réacteur no 2. Des robots spécialement conçus pour se déplacer sous l’eau et chercher des barres de combustibles fondues dans les enceintes de confinement des réacteurs ont été utilisés sur le site de Fukushima. Censés résister à d’intenses radiations pendant plusieurs heures, ces robots ont été pilotés sur les restes de la centrale afin de capter des images de l’intérieur des gaines bétonnées des réacteurs et n’ont jamais pu achever leur mission. Ils se sont simplement arrêtés de fonctionner après une ou deux heures. Leurs fils électriques et leurs circuits avaient littéralement fondu.

Malgré cela, les autorités japonaises cherchent à rassurer la population, qui est de moins en moins dupe. Plusieurs d’entre eux soupçonnent les politiciens et le corps médical de minimiser les conséquences de ce désastre. Que dire des milliers d’hommes et de femmes qui se sont relayés pour nettoyer la centrale nucléaire? En date de 2016, le gouvernement de Shinzo Abe n’a reconnu qu’un seul cas de leucémie relié à l’exposition aux radiations. Des dizaines d’autres dossiers d’ouvriers atteints de cancer ont été écartés par Tokyo. Même si le gouvernement a ordonné l’arrêt du parc nucléaire en 2012 pour inspection, plus de 70 % des citoyens sont défavorables à ce qu’il soit remis en service. L’accroissement phénoménal du nombre de cancers de la glande thyroïde chez les enfants vivant à proximité du site ainsi que des malformations de plus en plus apparentes chez la flore et la faune de la région y sont certainement pour quelque chose.

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