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LE CAFÉ – PAS QU’UN SIMPLE BREUVAGE CHAUD

Kim Lavack Paquin
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La petite camionnette deux tons, or et rouille, bondissait vigoureusement sur le chemin de terre cahoteux qui grimpait toujours plus haut dans la brume des montagnes de cette région de la province de Puntarenas, vers les Monte Verde du Costa Rica. Assis de biais à l’arrière, les deux genoux au menton et le nez dans mon petit dictionnaire français-espagnol, j’essayais, titubant sur les mots, de former des phrases pour converser du tac au tac avec mes sauveurs. À mon grand soulagement, le jeune couple, à qui je m’efforçais de communiquer tant bien que mal ma gratitude, m’avait ramassé in extremis juste avant le coucher du soleil sur une route déserte, à la sortie d’un village fantôme, sous le regard louche d’un vieil édenté qui m’observait faire du pouce dans le vide depuis bientôt trois heures, esquissant sur ses lèvres gercées un sourire inquiétant qui ne laissait présager rien de bon pour la suite des choses. Dieu merci, cette vieille camionnette s’était arrêtée devant moi, probablement le dernier véhicule qui allait passer par là avant le lendemain matin. Sans quoi on aurait sans doute retrouvé les restes de ma carcasse dévorée par une bande de chiens errants. 

Mes sauveurs, à peine plus vieux que moi, étaient adorables et très heureux d’être contents. Nous nous sommes rapidement liés d’amitié, aidée par mon « patchwork » d’espagnol et de grimaces. En été, au Costa Rica, il fait chaud et c’est pourquoi je portais des shorts et la fameuse camisole Pura Vida. En revanche, quand tu montes en altitude, la température a tendance à descendre. Ajoute à cela une petite bruine de brouillard à la brunante et, après une heure de route, disons que mes grelots commençaient à retraiter au vestiaire dans mes petits shorts de « backpacker ». Bref, j’avais l’allure d’un gars qui avait froid et qui n’avait pas mangé depuis le matin. Sans parler de ce que j’avais dû boire la veille. Je crois que ça devait commencer à paraître dans ma face parce que mon nouvel ami, Hector, a regardé sa femme, Maria, en me pointant du menton, et lui a proposé avec des yeux doux de s’arrêter chez sa mère afin de ramasser un café pour la route. L’idée m’apparaissait géniale et je nous voyais déjà reprendre le chemin avec un gros thermos fumant et moi, trop confo dans les pantalons que j’allais aussitôt enfiler une fois que nous nous serions arrêtés. Ne voilà-t-il pas qu’on s’arrête sur le bord de la jungle près d’un sentier qui descend vers une hutte en briques de ciment avec un toit de tôle et de la fumée qui s’échappe d’une cheminée noircie. Pas un poteau d’électricité en vue, juste une « shed », une bécosse sèche à l’arrière, des poules en liberté, deux-trois chats pis un cochon, et une vieille madame vautrée et fripée qui s’avance vers nous au milieu de ce tableau champêtre, l’air de vouloir nous chasser avec un balai.  

Son fils lui raconte rapidement mon aventure et, impassible sinon l’air bête, elle nous fait signe prestement d’entrer dans sa hutte. Une fois à l’intérieur et sans dire un mot, elle m’assoit à sa table et me sert aussitôt une petite tasse fumante de café noir. Hector m’explique que c’est elle-même qui a cueilli les grains de café et qui les a fait rôtir. Je porte la tasse à mon nez, humant l’âpre parfum avec curiosité… J’avoue avoir pris ma gorgée en me demandant combien de temps l’eau avait bouilli avant d’infuser. Je sentais le regard de la vieille me percer le dessus de la tête alors que j’avalais. Quand j’ai levé les yeux vers elle, un grand sourire illuminait son visage, un flash magique de gencives et de dents noires et, dans le regard, l’étincelle de celle qui sait déjà : c’était le meilleur café que j’avais bu de toute ma vie! 

COFFEE IN THE MORNING

Bien sûr, des millions de personnes boivent du café le matin pour commencer une nouvelle journée. Son importance matinale est telle que l’absence de café en soi, est acceptée culturellement pour expliquer une situation désastreuse qui aurait pu être évitée. En effet, quelqu’un habitué de boire son café en se levant et qui n’a pas pu le boire, un matin donné, pour une raison ou pour une autre, est un risque pour la sécurité des autres. C’est bien connu. On peut même aller jusqu’à excuser cette personne en évoquant le manque de caféine comme d’une raison valable pour agir comme un sauvage. 

  • « Pourquoi Pierre a démoli l’imprimante? » 
  • « J’pense qu’il n’a pas encore bu son café »
  • « Ah… Ok… » 

LA BELLE EXCUSE

Mais, un bon café peut aussi changer le monde. Même que la phrase « aller prendre un café » a tellement une connotation familière et réconfortante pour plusieurs que ça ne veut même plus dire qu’un café sera nécessairement le breuvage de choix. C’est une occasion. Un moment choisi. Un terrain neutre, non compromettant et sécuritaire. Combien de fois un café a été l’occasion d’un premier rendez-vous? Ou d’une rencontre exploratoire pour amorcer un projet d’affaires? Probablement aussi souvent qu’un café a servi de table pour une rupture. Ou pour une réconciliation. Pour sceller une entente, comploter contre le monde, s’ouvrir le cœur, en avoir le cœur net, réfléchir sur son avenir, prendre deux minutes pour respirer… avec un café.

Tout ça, inspiré par un simple breuvage chaud.

UNE GRAINE DE MYSTÈRE

La plupart des légendes sur l’origine du café proviennent des terres d’Éthiopie et du Yémen, où la plante de café aurait été reconnue et utilisée pour la première fois. Les ancêtres des Oromo d’Éthiopie auraient été les premiers à reconnaître les effets énergisants du café, mais il semble difficile d’établir à quel moment la découverte s’est réellement produite. De nombreuses légendes ont germé à travers l’Afrique dans laquelle le café devient une découverte mystérieuse ancrée dans une histoire aux proportions mythiques. Ça parle de prêtres guérisseurs, de chèvre… Bref, une chose est sûre, c’est qu’à partir du 15e siècle, la popularité du café se propage à une vitesse fulgurante dans le monde arabe et prend rapidement d’assaut le reste de la planète en partance du port de Mocha. Oui, oui, de là le nom. 

LA GROSSE AFFAIRE

Aujourd’hui, le café représente de la grosse business à l’échelle mondiale. C’est un marché de plus de 465 milliards $ US, avec le Brésil comme plus grand producteur. Le pays de Pelé domine un top cinq complété dans l’ordre par le Vietnam, la Colombie, l’Indonésie et l’Éthiopie. À eux seuls, ces pays représentent plus de 75 % de la production mondiale. 

L’Europe reste le plus grand consommateur de ce liquide noir, avec la consommation par habitant la plus élevée de la planète grâce à des habitudes de consommation solidement ancrées dans le quotidien. Bien sûr, s’enfiler presto une gorgée d’expresso sur une terrasse de la Piazza del Popolo à Rome, entouré de beau monde et d’une flopée de pigeons, ça aide à en cimenter l’habitude. Surtout que les Européens, eux autres, ont compris qu’un café ne devrait pas couter 8 $. Bien que ce soit sur ce même vieux continent qu’on observe une tendance à la hausse vers la culture du café haut de gamme. Phénomène normal alors que les clients sont de plus en plus conscients de la qualité du café dans leur tasse et de sa provenance et que les riches finissent toujours par s’approprier les bonnes idées et les bonnes choses tant qu’elles coûtent cher. 

CHIER DE L’OR

Certains cafés valent même une petite fortune et quart, comme le Kopi Luwak, qui se détaille environ 1300 $ US le kilo, ou encore le Black Ivory, à 2500 $ US pour la même poche en jute! Fait intéressant, ces deux cafés-là proviennent de grains qu’on récolte à même les excréments des animaux qui mangent les cerises du caféier. Va-t-encore pour le premier, qui provient des déjections de la civette asiatique, une jolie petite bête de la grosseur d’un chat mais, pour ramasser le Black Ivory, faut aller fouiller jusqu’au coude dans le crottin d’éléphant. C’a quelque chose à voir avec la réaction enzymatique que les noyaux subissent alors qu’ils sont digérés et qui contribueraient à leur donner une saveur douce et un arôme complexe. Selon les experts. J’aimerais surtout en savoir plus sur les circonstances qui ont mené à cette découverte. Ça ressemble à un « Pas game! », un lendemain de brosse en pleine brousse. 

PARTOUT PRÈS DE CHEZ VOUS

La culture du café se propage comme un feu de poudre aux quatre coins du globe. Les chiffres ne mentent pas. Un nombre toujours croissant de cafés ouvrent ici et là à travers l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Asie et l’Océanie. Ici, au Québec, nous ne sommes pas en reste de cette tendance qui s’incruste jusque dans les petits villages où il n’est maintenant pas rare de voir apparaître des cafés à la déco hipster-chic là où, avant, il n’y avait qu’un vieux dépanneur qui vendait ses vers de terre.

À CHACUN SON POISON

Avec l’embourgeoisement de l’habitude, certaines méthodes de confection sont devenues de plus en plus complexes, parfois même un peu loufoques. J’ai déjà attendu une vingtaine de minutes pour un café qu’on m’a évaporé à partir d’un bécher en passant par un alambic, filtré à travers un bas nylon, pour finalement goûter la vieille chaussette. Les « aficionados » de ce genre de « hype » sont sensibles, alors si on te sert ça, tu hoches la tête en faisant : « Hum… merci! » Sinon, on va te canceller. 

En revanche, pour une façon de faire un brin trop complexe pour un résultat mitigé, il existe des dizaines de techniques qui nous permettent de savourer pleinement ce breuvage torréfié béni des dieux et de nous faire voyager autour du monde se faisant.

Le café turc, par exemple, se fait en ajoutant directement la mouture de café très fine, jusqu’à ressembler à de la poudre, dans de l’eau bouillante qui a été sucrée au préalable. On fait ça dans un « cezve », un récipient typique en cuivre et en laiton doté d’un long manche. On peut même y ajouter un peu d’épices, comme de la cardamome ou de la cannelle. Ça vient de loin, mais « ça te réveille le Canadien », comme on dit. 

En Asie du Sud-Ouest, les recettes de café sont parfois aussi étonnantes que savoureuses. Au Laos, on le confectionne avec une mixture de lait en poudre, de lait évaporé et de lait concentré sucré. On part d’une infusion très forte et concentrée qu’on filtre à travers un tissu qui ressemble quasiment à un bas. Le résultat est un mélange épais, sucré, presque chocolaté et certainement délicieux. Tu ne dors pas pendant deux jours, mais tu as du fun!

Une vieille recette originaire d’Algérie, considérée par les historiens comme le premier café glacé, fait fureur en ce moment au Portugal et se retrouve même de nos jours sur nos tablettes, ici au Québec. Le café-limonade. Du bon citron fraîchement pressé, « shaké » sur glace, dans ton café. Ça te stimule la bouche sur un moyen temps! 

Les Scandinaves ont également une pas pire recette appelée le kaffeost ou, en traduction libre, le café-fromage. Un bon kaffeost commence par un cube de vieux fromage, le juustoleipä ou simplement juusto pour les intimes, lequel est placé au fond d’une tasse en bois sculpté dans un nœud de bouleau sauvage. Après avoir versé le café bouillant à l’intérieur, on peut savourer à travers sa moustache les morceaux de fromage ramollis en sirotant son café ou, encore mieux, profiter de la petite lie de fromage laissée au fond de la tasse jusqu’à pu soif. Menoum.

COMME UNE SIGNATURE

Expresso court, allongé, café filtre, avec lait ou noir, sucré ou pas… la façon dont tu prends ton café en dit un peu sur qui tu es. Assez pour être flatté quand quelqu’un s’en souvient et te l’apporte comme tu l’aimes sans avoir à te le demander.

Perso : Cafetière italienne sur le rond. Fort. Avec du lait de vache ou de soya chaud – mais PAS d’avoine – une petite affaire de mousse et une touche de sucre. Merci, bonjour la vie!

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