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L’envers de la porn : les retouches du plaisir

Chroniqueur Michel Bouchard
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Même si peu de gens osent avouer leur tendance à consulter des sites XXX ouvertement, la pornographie est aujourd’hui omniprésente dans le quotidien de la majorité des occidentaux. Avec l’avènement du Web, ce qui était autrefois un tabou est aujourd’hui de plus en plus démocratisé.

 

Comme chaque année, le site Pornhub a récemment publié ses statistiques pour 2019 et elles sont éloquentes : les gens ont beau nier, ils regardent de la porn. Et ils en regardent énormément.

Uniquement sur Pornhub, on a recensé en 2019 pas moins de 42 milliards de visites, soit 115 millions par jour, et il s’est effectué 39 milliards de recherches. Le site a vu s’ajouter 1,36 million d’heures de nouveau contenu dans ces douze mois, ce qui équivaut à 169 années de visionnement continu pour un seul individu. On entend souvent dire via les médias que ce sont les hommes qui consomment de la pornographie, mais sachez qu’au Canada, dans la dernière année, 32% des visiteurs sur Pornhub étaient des femmes, ce qui représente une augmentation de 3% par rapport à l’année précédente. Inutile de conclure que les milléniaux changent la donne au niveau des statistiques sur les films XXX puisque l’âge moyen des consommateurs de porno au Canada est de 39 ans.

Tout ça pour dire que la pornographie fait partie de nos vies, quoiqu’on en dise. Généralement, quand on parle de porno, on parle surtout des actrices et acteurs qui se retrouvent dans l’action devant la caméra. Mais qu’en est-il de ceux qui œuvrent de l’autre côté de la lentille ? Ceux qui travaillent dans l’ombre de l’industrie pornographique ?

Grâce à la générosité de Miss Scarlett (nom fictif plutôt sexy utilisé afin de garder l’anonymat de celle qui a bien voulu se livrer au jeu de l’entrevue), voici donc un aperçu de ce que peut représenter le fait de travailler dans l’ombre de l’industrie du porn au quotidien

Tout d’abord, pourquoi parler de manière anonyme ?
Tout simplement parce que je m’apprête à vivre une réorientation de carrière et je ne voudrais pas que ça finisse par nuire à mes chances de décrocher un emploi dans le futur. Autrement, non, ça ne me gênerait pas de parler ouvertement sous mon véritable nom.
Miss Scarlett, quel est votre travail dans le milieu de la porn ?
Je fais principalement de la retouche photo à l'aide de Photoshop. Contrairement à ce que les gens pensent, je ne grossis pas les pénis ni les seins des pornstars ! Je fais des retouches pour attirer l'œil du client, donc je modifie surtout tout ce qui est couleur et densité. Également, j’ai à masquer les imperfections du genre boutons et cicatrices. Il faut que les photos que je choisis de mettre en avant-plan soient vendeuses et qu'elles accrochent l'œil. Je teste aussi nos scènes avant qu'elles soient publiées en ligne pour voir si elles ont des bogues et ainsi les fixer pour que tout soit impeccable pour nos clients
Avez-vous déjà travaillé directement avec les acteurs et actrices ?
Oui, j'ai aussi déjà filmé quelques scènes et j’ai été appelée à effectuer d'autres tâches connexes du genre composer des descriptions de scènes et des biographies de pornstars.
Depuis combien de temps faites-vous ce job ?
J'ai commencé en 2008 et j'ai eu une pause d'un an entre temps, donc ça fait 11 ans en tout et pour tout.
Comment as-tu décroché ce travail dans les coulisses de la porn ?
Je venais de graduer en photographie et j'avais principalement fait ces études-là parce que je ne savais pas quoi faire dans la vie ! Être photographe professionnelle ne m'intéressait pas et j'aimais beaucoup tout ce qui touchait le traitement de l'image, donc Photoshop était vraiment un outil fascinant pour moi. Une de mes amies avait un poste dans une compagnie qui gérait des sites XXX et je l'ai approchée après avoir perdu un autre emploi en retouche photo. Quelques semaines après un poste s'est libéré donc j'ai pu appliquer et j’ai décroché ledit poste !
Qu’est-ce que ça a comme effet d’être exposée quotidiennement à des images pornographiques ?
Honnêtement, ça ne me fait pas grand-chose. Je me souviens que la première journée, dès que l'on m'a donné ma première scène à retoucher, j'ai trouvé ça un peu étrange, puis je me suis retournée et j'ai vu tous mes collègues faire leur job de manière désinvolte... Puis je me suis dit « Bon, ben c'est ça ma job, on y va ! ». On finit par ne plus tant remarquer ce que l'on voit à longueur de journée.
Est-ce que ça change les habitudes sexuelles, si oui, de quelle manière ?
Pour ma part, pas tant. Déjà en partant, ce que je vois dans un contexte professionnel m'influence beaucoup moins que si je regardais tout ça de mon propre gré. On s'entend que j'ai vu beaucoup de choses que j'aurais voulu ne jamais voir (rires). Le porno, ça reste des images... Ça n'atteint pas vraiment ma propre vie sexuelle.
Avant d’y travailler, étais-tu consommatrice de films porno ?
Oui, beaucoup. J'étais jeune et j'avais les hormones dans le tapis !
Que penses-tu de ceux qui en consomment régulièrement ?
Je ne les juge pas du tout, je les comprends. La pornographie ça permet d'assouvir des besoins, et beaucoup de gens y ont recours quand ils sont seuls... Disons que c'est pratique ! Par contre, ça peut aussi devenir problématique. Quelqu'un qui en consomme au point où ça nuit à ses activités de tous les jours ou quelqu'un qui, par exemple, délaisserait son/sa copain/copine parce qu'il préfère regarder des films XXX... rendu-là, il faut savoir se poser des questions sur notre rapport vis-à-vis ce divertissement.
Devient-on insensibilisée à des scènes de nature porno ?
Depuis le temps que j'en vois, je suis assez insensibilisée merci. J'ai vu plusieurs milliers de scènes en 11 ans... Et j'en ai vu de tous les genres ! Ce n'était pas toujours des choses que j'aurais aimé voir, mais j'ai une bonne capacité à gérer tout ça. D'ailleurs, j'ai souvent été celle à qui on donnait des scènes peu appréciées, parce que même si je n'aimais pas plus ça que mes autres collègues, j'étais capable de les regarder sans me sentir trop mal. Si je trouve ça trop intense, je me mets à rire... C'est comme un mécanisme d'auto-défense !
As-tu parfois envie d’être devant la caméra (ou plus près de l'action) ?
OH MON DIEU, pas du tout. (Rires) Déjà en partant, je travaille surtout sur des films gais homme/homme, donc je n'aurais pas d'affaire là ! Sinon comme je l'ai spécifié auparavant, j'ai déjà filmé quelques scènes... Je n'ai pas détesté, mais ce n'était pas nécessairement quelque chose que je désirais faire. J'étais un peu gênée, mais la timidité se dissipe vite quand tu te concentres sur ton travail. En plus, je les regardais par le biais d'un écran de caméra même s'ils étaient devant moi, donc ça permet de se distancer un peu de l'action.
Qu’est-ce qui est le plus marquant quand on filme des scènes ?
Si je peux me permettre d'être crue, filmer des scènes XXX ça vient aussi avec certaines odeurs, disons-le. C'est comme rentrer dans une chambre après que des gens aient eu du sexe ; si tu faisais pas partie de la gang, c'est légèrement inconfortable...
Est-ce que la relation de couple avec une autre personne change lorsqu’on travaille dans ce milieu ? On annonce la nature de son travail de la même manière que si on était prof de maths ?
Personnellement, je suis quand même extravertie et j'assume qui je suis et ce que je fais, donc ça ne me dérangeait pas du tout de le dire. Quand j'étais célibataire, soit le gars le savait déjà parce que j'en avais déjà parlé sur les réseaux sociaux, soit je le disais rapidement, notamment pour voir la réaction. Il y a des hommes qui devenaient soudainement moins respectueux envers moi parce que je travaillais dans le porno, autant parce qu'ils pensaient que ça leur donnait le droit de dire des choses déplacées ou bien parce que ça les excitait de savoir ce que je faisais et que soudainement, je n'étais plus quelqu'un avec qui on pouvait vivre une relation sérieuse. J'ai réglé mon problème : je suis maintenant en couple avec un ancien collègue !
Les acteurs et actrices ont bien souvent des physiques qui diffèrent du commun des mortels, comment dealer avec ça ?
Je crois que le stéréotype de la pornstar au corps « parfait » n'est plus aussi présent à notre époque. Pour ma part, j'ai vu vraiment de tout, et j'ai tendance à dire qu'une bonne partie des pornstars ressemblent justement au commun des mortels. Les hommes ne sont pas tous musclés, la majorité ont des pénis de taille moyenne. Je vois des femmes avec des seins de toutes les tailles, et bien qu'une bonne partie soient minces, j'en vois régulièrement qui sont grassettes ou carrément grosses. Bien heureusement, car ainsi il y en a pour tous les goûts !
Se juge-ton différemment quand on se regarde (ou qu'on regarde l'autre) nue ? A-t-on des attentes différentes quant à la sexualité et aux attributs sexuels de la personne avec qui l’on partage le quotidien dans l’intimité ?
Personnellement, voir des corps nus de manière régulière ne change pas la façon de me voir ou de voir les autres. Je suis comme je suis, et j'ai des préférences qui ne sont pas dictées par la porno. Je suis capable de faire la distinction entre les deux. Même chose en ce qui a trait aux performances sexuelles. La porno c'est du fake, il faut se le dire ! On ne peut pas se baser sur le jeu des acteurs pour se dire que ça devrait être la réalité de monsieur et madame Tout-le-monde.
Quel est ton avis sur la pornographie ? Pour, contre ou neutre ? et pourquoi ?
Majoritairement pour. Les gens qui décident d'être devant la caméra ont tout à fait le droit de faire ce qu'ils veulent avec leurs corps. Les gens qui en regardent peuvent en ressentir un immense plaisir. Le porno permet de soulager certaines tensions de manière relativement saine. Je dis « relativement », car bien sûr, il y a des mauvais côtés au porno. Je suis évidemment contre le fait que des personnes soient forcées à en faire. L'image de la femme dans certains films XXX laisse aussi à désirer. D'ailleurs, si jamais j'ai des doutes ou si je n'aime pas ce que je vois dans une scène, je peux en faire part à mon employeur. Nous avons des règles strictes pour notre contenu.
As-tu une anecdote particulière liée à ton travail à raconter ?
J'en ai sûrement beaucoup, mais je ne sais pas par où commencer ! Point de vue rencontres, j'ai déjà rencontré Peter North et je lui ai serré la main... droite. (Rires) J'ai également rencontré Ariel Rebel, une actrice de porno soft montréalaise. Je l'ai trouvée hyper sympathique.
Quel est le jugement des proches quand ils apprennent le milieu dans lequel tu œuvres en arrière-plan ?
Je ne le dis pas à tout le monde, car je sais que certaines personnes n'aimeraient pas le savoir. Par contre, je suis généralement entourée de gens très ouverts, donc il n'y a aucun malaise ou jugement de leur part.
Aimes-tu faire ce métier ?
Oui ! Je n'aurais pas pu faire autant d'années dans ce domaine en n’aimant pas ce que je fais.
Recommanderais-tu à quelqu’un de travailler dans ce milieu ?
Pourquoi pas ? Si la personne pense pouvoir gérer le contenu sans trop de problèmes, c'est un peu comme n'importe quel autre emploi... Bon, j'avoue que parfois je trouve que ma job est assez bizarre en y repensant bien...
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