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L’ÉTRANGE AFFAIRE DYATLOV

Chroniqueur Jean-Christophe Noël
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Il y a presque 60 ans, un drame épouvantable s’est joué dans l’Oural (Russie). Neuf jeunes randonneurs ont trouvé la mort dans des circonstances étranges. À l’époque, l’affaire avait donné des maux de tête aux dirigeants du KGB. Encore aujourd’hui, « l’affaire Dyatlov » demeure un mystère digne de Sherlock Holmes. Au printemps 2008, alors que je voyageais dans l’est de la Turquie, un soldat arménien m’a raconté une étrange histoire. Il la tenait d’un militaire de l’ancienne Union soviétique. Dans les années 50, un groupe d’étudiants avait trouvé la mort dans des circonstances « inexplicables ». Tous étaient décédés lors d’une randonnée dans les montagnes de l’Oural. Le drame était connu sous le nom du leader du groupe : « l’affaire [Igor] Dyatlov ». À l’époque, je n’en avais jamais entendu parler. De retour au Canada, j’ai commencé mes recherches. Et mon enquête a rapidement tourné à l’obsession.

Le voyage interrompu

Nous sommes en 1959, à Sverdlovsk (aujourd’hui Ekaterinbourg), dans la province de Sverdlovsk, dans l’Oural.

Le 24 janvier, neuf étudiants de l’Institut polytechnique prennent le train à destination des montagnes de l’Oural, à 600 kilomètres plus au nord. Le trajet se fera d’abord en train, puis en camion. Pour les 12 derniers kilomètres les séparant du mont Oterten, leur destination, les randonneurs ne pourront compter que sur eux-mêmes. Le groupe est composé d’Igor Dyatlov, un étudiant en ingénierie. Malgré ses 23 ans, Igor a une solide expérience du trekking. Ses compagnons sont Yuri Doroshenko, Alexander Kolevatov, Rustem Slobodin, Yuri Krivonishchenko, Nikolay Thibault-Brignoles, Yuri Yudin et les deux filles du groupe, Zinaida Kolmogorova et Lyudmila Dubinina. Presque tous sont des habitués de la randonnée en terrain hostile. Sur le trajet, les jeunes sont rejoints par Alexander Zolotaryov, un ami d’Igor Dyatlov. Zolotaryov ne fréquente pas l’Institut polytechnique. À 37 ans, il est le plus âgé du groupe.

Le 28 janvier, l’un d’eux, Yuri Yudin, qui n’a pas cessé de se plaindre de maux de dos insupportables, décide de rebrousser chemin. Il ne se doute pas une seconde des conséquences « salvatrices » de son geste.

Des morts sur la montagne

Le 20 février, comme les randonneurs tardent à rentrer, une opération de recherche est officiellement déclenchée. Six jours plus tard, deux secouristes découvrent la tente des randonneurs. Elle gît sur l’un des versants du mont Holatchahl, à 10 kilomètres du mont Otorten. À l’intérieur, les hommes trouvent les effets personnels des randonneurs, mais aucun corps. La tente a apparemment été abandonnée depuis plusieurs jours. Une partie de la toile est déchirée et de la neige s’est accumulée à l’intérieur. En inspectant les alentours, les secouristes aperçoivent une série d’empreintes. Ils en dénombrent neuf paires. La plupart sont plus petites, comme si elles avaient été faites par quelqu’un se déplaçant en chaussettes.

En mi-journée, les bénévoles découvrent les corps ensevelis de Georgy Krivonishchenko et de Yuri Doroshenko. Ils reposent côte à côte. Ils ne portent que des vêtements légers et leurs sous-vêtements. Ils ne présentent aucune marque de violence. De leur linceul de glace, les secouristes entreprennent de sonder la neige. Rapidement, ils découvrent les corps d’Igor Dyatlov, Rustem Slobodin et de Zina Kolmogorova. Tous gisent la tête vers la tente. Visiblement ils tentaient de rejoindre leur campement lorsqu’ils ont été terrassés.

Le 4 mai, au fond d’un ravin, les secouristes trouvent les quatre dernières victimes. Elles gisent sous 4 mètres de neige. Elles présentent de sévères blessures : fractures du crâne, membres disloqués, côtes brisées ou fracturées. Lyudmila Dubinina a même eu la langue tranchée. Chose curieuse, aucun des corps n’a de blessures externes. Et comme si cela n’était pas suffisant, les experts découvrent des traces de radioactivité sur les vêtements de Dubinina et de Zolotaryov.

Une force irrésistible inconnue

Le sort du groupe Dyatlov étant devenu une affaire d’État, les autorités confient l’enquête à un ancien policier, Lev Ivanov. Le 28 mai 1959, le magistrat dépose son rapport final. Selon lui, « l’incident » se serait produit dans la soirée du 1er février. Vers 22 h, quelque chose aurait forcé les randonneurs à quitter leur tente. Ils auraient descendu le versant de la montagne sur une distance d’environ 1500 mètres. Les premières victimes seraient mortes à ce moment-là. Constatant le sort qui les attendait, les survivants se seraient divisés en deux groupes. Le premier se serait dirigé vers le campement, mais le froid (-20 °C) l’aura terrassé sur le chemin. Pendant ce temps, les quatre autres rescapés auraient marché jusqu’au ravin où ils auraient trouvé la mort. Quant à la raison de cette déroute, Ivanov conclut que les randonneurs ont cédé à une « force irrésistible inconnue ».

Au lendemain du dépôt du rapport de Lev Ivanov, les autorités interdisent l’accès au mont Holatchahl et sa région. L’embargo ne sera levé que trois ans plus tard.

Que s’est-il passé?

Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à cette affaire, mon premier réflexe a été de contacter la Fondation Dyatlov, à Ekaterinbourg (Russie). La fondation a pour mandat d’entretenir la mémoire des victimes. Au fil des ans, ses membres ont accumulé une foule d’objets associés au drame, dont le rapport de Lev Ivanov. Le document est très explicite. Cinq des victimes – celles retrouvées entre le campement et la forêt – sont mortes d’hypothermie. Quant aux autres, elles sont décédées de froid et des suites de leurs blessures, conséquentes de leur chute dans le ravin. Aucun des randonneurs n’a été agressé, ni par des étrangers ni par un animal.

En prenant connaissance du rapport, ma première pensée a été : « Si les victimes sont sorties précipitamment de leur tente, peut-être était-ce parce que la menace était à l’intérieur? » Il faut savoir que les randonneurs utilisaient un poêle artisanal pour se chauffer. Si ce dernier a fait défaut, la tente a très bien pu se remplir de fumée. La réaction des jeunes aurait été de sortir rapidement pour éviter l’asphyxie. Le hic, c’est que cela n’explique pas pourquoi, une fois à l’extérieur, les randonneurs se sont éloignés. Hors de la tente, la menace était écartée. Les jeunes auraient dû se rendre compte que leur seule chance de survie dans ce froid polaire était de récupérer leurs vêtements, à l’intérieur. Mais non… Au lieu d’attendre la dispersion de la fumée, ils se sont bêtement éloignés. Cela n’a pas de sens…

Hallucinations et yéti…

Dans son livre Dead Mountain, Donnie Eichar soutient que la position du campement plaçait le groupe au milieu d’un corridor naturel. Le vent, en s’y engouffrant, aurait créé un vortex générant des infrasons. Rappelons que l’oreille humaine entend les longueurs d’onde comprises entre 20 Hz et 20 000 Hz. Au-delà, on parle d’ultrasons et, en deçà, d’infrasons. Lorsqu’ils arrivent au seuil de l’audition, entre 16 et 20 Hz, les infrasons – même s’ils restent inaudibles – peuvent engendrer des impressions désagréables, voire des hallucinations. Donnie Eichar soutient que le groupe Dyatlov aurait pu connaître un épisode de panique passagère en raison de la présence d’infrasons. J’ai un problème avec cette hypothèse : les gens ne réagissent pas tous de la même façon aux infrasons. Si, pour certains, cela entraîne des problèmes de comportement, pour d’autres, ces infrasons ne causent qu’un inconfort léger. Que les neuf randonneurs se soient laissés emporter dans une hystérie collective causée par des infrasons m’apparaît très improbable.

Certains ont aussi parlé de la peur d’une avalanche, mais la pente du mont Holatchahl est trop faible pour entraîner une coulée de neige. D’autres ont invoqué une agression, soit par des autochtones, un commando de soldats russes ou même un yéti, l’abominable homme des neiges. Ces propositions ne tiennent pas la route. Est-il nécessaire de rappeler que les enquêteurs n’ont trouvé aucune autre empreinte que celles des neuf randonneurs?

OVNIS… ou le secret du KGB

Dans ce genre d’énigmes, si on fouille un peu, on est sûr de trouver une histoire d’ovni quelque part. L’affaire Dyatlov ne fait pas exception. Sauf qu’ici, son premier défenseur n’est nul autre que Lev Ivanov, le principal enquêteur au dossier. Lors de son investigation, Ivanov a mentionné que la nuit de l’incident un autre groupe de randonneurs – qui se trouvait à quelques kilomètres plus au sud – avait rapporté d’étranges lumières dans le ciel. Pourquoi Ivanov a-t-il mentionné ce détail dans son rapport; une anecdote sans lien apparemment avec le sort du groupe Dyatlov? Je l’ignore. Après avoir rendu son rapport, Ivanov n’a plus jamais commenté l’affaire, sauf à une occasion.

En 1990, peu de temps avant son décès, l’ancien policier a en effet écrit une lettre au Leninsky Put, un petit journal du Kazakhstan. Il y mentionnait que ses supérieurs de l’époque avaient fait pression pour que son rapport soit dépouillé de toutes références à des ovnis. Tout en demeurant flou sur la nature de ces objets, Ivanov ajoutait que ces lumières inconnues avaient certainement joué un rôle dans la panique des randonneurs, sans préciser cependant de quelle manière. Si Ivanov connaissait le secret de l’affaire Dyatlov, il l’a emporté dans sa tombe.

Dix ans après ma première incursion dans l’affaire Dyatlov, j’ignore toujours ce qui s’est passé sur le mont Holatchahl. Quelle était donc la nature de cette « force irrésistible inconnue »? Je n’en ai toujours pas la moindre idée. Mais je ne perds pas espoir. Je me suis laissé dire que le FSB (successeur du KGB) avait toujours dans ses archives un volumineux dossier sur l’affaire Dyatlov. Qui sait? Il est permis d’espérer…

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